PREDESTINATION (2014)

Les frères Spierig adaptent une nouvelle de Robert Heinlein et nous plongent dans un enchaînement vertigineux de paradoxes temporels…

PREDESTINATION

 

2014 – AUSTRALIE

 

Réalisé par Michael et Peter Spierig

 

Avec Ethan Hawke, Sarah Snook, Noah Taylor, Elise Jansen, Christopher Kirby, Madeleine West, Cate Wolfe, Jim Knobeloch

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Michael et Peter Spierig aiment prendre leur temps. Scénaristes, réalisateurs, producteurs, parfois même monteurs et superviseurs des effets visuels de leurs films, ils sont à la tête de projets atypiques qui ne se concrétisent donc pas en un claquement de doigts. Après leur comédie d’horreur et de science-fiction Undead (2003), ils donnaient un souffle original au mythe des vampires avec Daybreakers (2009). Predestination, leur troisième long-métrage, entend bien bouleverser les codes établis dans le domaine des histoires de voyages dans le temps en s’appuyant sur la nouvelle « Vous les zombies » écrite par Robert Heinlein et publiée en 1959. Le célèbre auteur de science-fiction caressait l’ambition, à travers ce texte court, de pousser le plus loin possible la notion de paradoxes temporels en s’appuyant sur le principe des boucles causales (« qui est arrivé en premier, la poule ou l’œuf ? »). Quand on lit ce récit d’une quinzaine de pages, force est de constater qu’Heinlein est allé très loin dans le concept, provoquant presque des migraines aux lecteurs qui s’efforcent de reconstituer le complexe fil temporel des destinées de ses personnages. Le principe de la boucle causale a ceci de fascinant qu’il part du principe qu’on ne change pas le cours des événements en voyageant dans le passé ou dans le futur : au contraire, on s’inscrit dans le flot du temps, comme si les bouleversements qu’on y apporte préexistaient déjà. L’exemple cinématographique le plus fameux, en ce domaine, est la première saga de La Planète des singes. Charge donc aux frères Spierig de rester fidèles aux mots d’Heinlein tout en se conformant aux besoins narratifs d’un film de science-fiction.

Fidèle aux cinéastes, qui lui avaient offert le rôle principal de Daybreakers, Ethan Hawke joue le rôle d’un agent spécialisé dans les sauts temporels à l’aide d’un dispositif curieux : l’étui d’un instrument de musique sur lequel il inscrit les dates de ses prochaines destinations. L’organisation qui l’emploie cherche ainsi à empêcher certains crimes avant qu’ils ne soient commis, une démarche qui n’est pas sans évoquer Minority Report (qui adaptait un autre auteur classique du genre, Philip K. Dick). Alors qu’il s’efforce de faire cesser les agissements d’un terroriste pyromane surnommé « le feu follet », notre agent est gravement brulé. De retour à son époque, il subit une chirurgie réparatrice qui lui redonne visage humain. Sa mission suivante – qui sera de toute évidence la dernière – le transporte dans le New York des années 70. Là, sous l’identité d’un barman, il entame la conversation avec un client taciturne. Ce dernier, qui gagne sa vie en écrivant des confessions intimes à l’eau de rose dans des magazines féminins, propose au barman de lui raconter son histoire. Une histoire incroyable et riche en surprises…

La poule ou l’œuf ?

À l’exception de l’ajout du personnage du « feu follet », qui permet au film de s’offrir quelques séquences d’action et de suspense additionnelles, le scénario de Predestination s’avère étonnamment proche du texte original, dont il reprend souvent mot à mot les dialogues. C’est un pari osé, dans la mesure où le récit prend rapidement une tournure très littéraire. La grande majorité du film est en effet constituée de propos que les personnages échangent, assis dans le bar. Certes, la tournure que prennent ces confessions s’avère fascinante, prenant corps sous forme d’une série de flash-backs que les Spierig mettent en image avec beaucoup d’élégance. Mais la structure de Predestination finit par souffrir d’un déséquilibre lié à ce statisme inattendu. Les séquences d’ouverture laissaient imaginer un tout autre film, beaucoup plus axé sur le mouvement. Mais c’était un leurre, comme si les Spierig se débarrassaient rapidement des passages qu’on attendait d’eux pour se concentrer ensuite sur le cœur du sujet, autrement dit la nouvelle d’Heinlein. Le film n’aurait sans doute pas le même impact sans les prestations d’Ethan Hawke et de Sarah Snook (très surprenante dans un registre transformiste où elle excelle). Déclinant sous de nombreux aspects le principe de la scission des corps et des identités, Predestination est probablement l’un des films les plus personnels de ses auteurs qui, rappelons-le, sont deux frères jumeaux qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.

 

© Gilles Penso


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