AUDITION (1999)

Un producteur de films qui cherche à se remarier organise un faux casting pour trouver la femme idéale. Mais celle qu’il trouve cache bien son jeu…

ÔDISHON

 

1999 – JAPON / CORÉE DU SUD

 

Réalisé par Takashi Miike

 

Avec Ryo Ishibashi, Eihi Shoona, Tetsu Sawaki, Jun Kunimura, Renji Ishibashi, Miyuki Matsuda, Toshie Negishi, Ren Osugi, Ken Mitsuishi

 

THEMA TUEURS

Le succès international de Ring a provoqué bien des remous au sein de la société de production japonaise Omega Project, logiquement disposée à réitérer cet exploit. Mais au lieu de capitaliser une fois de plus sur « la fille fantôme aux cheveux sales » qui fera école un peu partout dans le monde et suscitera de nombreuses imitations, plagiats, suites et remakes, on cherche l’originalité et la surprise. L’attention se porte donc sur le roman « Audition » de Ryu Murakami, publié au Japon en 1997. Mélange troublant de romance, d’épouvante psychologique et d’horreur graphique, ce livre au rythme soutenu semble pouvoir bien se prêter à une adaptation cinématographique. Pour le mettre en image, on sollicite le scénariste Daisuke Tengan et le réalisateur Takashi Miike. Ce dernier voit là l’opportunité de porter aux nues son style atypique en s’appuyant sur un texte qui ne l’est pas moins. S’entourant de plusieurs collaborateurs avec lesquels il a déjà eu l’occasion de travailler par le passé, Miike tourne à Tokyo en trois semaines, emballant avec efficacité cet Audition qui demeure aujourd’hui encore l’un de ses films les plus emblématiques et les plus appréciés.

Le point de départ d’Audition pourrait être celui d’une excellente comédie romantique. Aoyama, 42 ans, est un producteur de films qui a toujours du mal à se remettre de la mort de son épouse disparue il y a sept ans. Il traine depuis une certaine morosité. « La solitude est le mal du siècle du Japonais » lui dit l’un de ses collaborateurs. Un jour, suivant les conseils de son fils adolescent, il décide de se remarier. Mais comment trouver la femme idéale ? Son ami Yasuhisa Yoshikawa, producteur de cinéma, a une idée : organiser une audition, sur la base d’un scénario de film mettant en vedette une héroïne qui a toutes les caractéristiques de la femme que recherche Aoyama. Le principe est un peu dingue, mais pourquoi pas ? S’ensuit une séquence de casting elliptique désopilante où toutes sortes de comédiennes se prêtent au jeu du casting, de la plus introvertie à la plus exubérante. Lorsque se présente enfin Asami, une jeune femme d’une troublante beauté, Aoyama en tombe instantanément amoureux. S’agit-il de l’âme sœur tant espérée ? Le postulat est suffisamment prenant pour nous faire oublier que nous sommes censés visionner un film d’horreur. De fait, Audition met du temps à révéler son vrai visage, malgré quelques plans fugaces et inquiétants dont on ne perçoit pas vraiment la portée, notamment ces images troublantes d’Asami chez elle, prostrée dans l’obscurité, à côté d’un grand sac qui semble contenir quelque chose de vivant…

Kiri-kiri-kiri

Lorsqu’enfin Aoyama et Asami connaissent l’extase dans les draps d’une chambre d’hôtel idyllique, tout bascule. À partir de là, il n’est pas impossible d’envisager que l’expérience traumatisante que va vivre notre héros est le fruit fiévreux d’une paranoïa grandissante. Mais comment en être sûr ? Toujours est-il que Miike se lâche alors dans les visions cauchemardesques atroces : un homme mutilé sans doigts, sans pieds, sans oreille, sans langue, qui vit dans un sac en toile et se nourrit du vomi d’Asami ; un flash-back éprouvant au cours duquel une petite fille est torturée par un vieil oncle libidineux ; ou encore cette séquence de torture finale entrée dans la légende, où la jeune femme muée en bourreau s’amuse à chantonner « kiri-kiri-kiri » tout en faisant subir à sa victime les pires outrages. Détournant l’imagerie classique du fantôme japonais (la tenue blanche symbole de mort, la longue chevelure noire), Asami est un monstre atypique qui semble trouver dans les sévices physiques des vertus révélatrices. « Les mots mentent, seule la souffrance dit la vérité », dit-elle à son captif hurlant, ou encore « seule une épreuve atroce nous révèle notre vrai visage ». Et tandis que le visage avenant d’Asami se substitue furtivement à ceux de la secrétaire d’Aoyama ou de la petite-amie de son fils, nous nageons en pleine confusion. Pour être honnête, la morale de cette histoire nous échappe quelque peu. On sent bien en filigrane une volonté d’aborder les sujets de l’enfance maltraitée, de l’inceste, de l’objectification des femmes. Mais quelque chose nous dit que ce n’est qu’un prétexte, que Miike ne cherche à développer aucun discours social ou moral, s’amusant juste avec les nerfs de ses spectateurs qu’il met à rude épreuve. Le pari est réussi, dans la mesure où Audition s’est quasi-immédiatement mué en film-culte, échappant à tous les critères habituels du cinéma d’horreur classique.

 

© Gilles Penso


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