LIQUID SKY (1982)

Une minuscule soucoupe volante se pose sur le toit d’un immeuble et influe sur la vie sexuelle d’une jeune femme…

LIQUID SKY

 

1982 – USA

 

Réalisé par Slava Tsukerman

 

Avec Anne Carlisle, Paula E. Sheppard, Susan Doukas, Otto von Wernherr, Bob Brady, Elaine C. Grove, Stanley Knap, Jack Adalist, Lloyd Ziff, Harry Lum

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

En 1982, les amateurs d’extra-terrestres au cinéma étaient aux anges. Ceux qui étaient en quête de frissons et d’horreur avaient droit au tétanisant The Thing. Ceux qui préféraient le rêve et l’émotion pouvaient se plonger dans le lyrisme d’E.T. Sorti la même année que les œuvres culte de John Carpenter et Steven Spielberg, Liquid Sky ne se rattache quant à lui à aucune des deux catégories. Ni à rien de connu d’ailleurs. Il y a bien une soucoupe volante et un alien dans ce film, mais pour le reste nous naviguons dans un univers inclassable. À l’origine de Liquid Sky, il y a Slava Tsukerman, réalisateur d’origine russe spécialisé dans les documentaires depuis le début des années 70. Son souhait de passer à la fiction se solde par plusieurs tentatives abandonnées. En fusionnant l’une de ses idées (la visite sur Terre d’un visiteur de l’espace) avec un récit écrit par son épouse Nina V. Kerona (l’histoire d’une femme qui ne parvient pas à avoir d’orgasme), le projet Liquid Sky commence à prendre forme. Il se finalisera grâce à l’aide d’une amie scénariste américaine, Anne Carlisle, qui s’impliquera jusqu’à jouer deux rôles dans le film, dont celui du personnage principal. Produit pour un budget de 500 000 dollars, tourné en « mode commando » en plein New York, la plupart du temps sans autorisation officielle, Liquid Sky est un OVNI dans tous les sens du terme.

Dès les premières secondes, le film nous saisit par son atmosphère « autre » : une musique électronique bizarroïde et expérimentale, des comédiens outrancièrement maquillés et costumés, des décors bardés de néons multicolores, des pas de danse syncopés qui ressemblent à des soubresauts épileptiques… Le temps de reprendre nos esprits, nous comprenons que l’intrigue navigue dans le monde de la mode, au cœur de ce que les années 80 pouvaient déployer de plus exubérant, quelque part à mi-chemin entre la New Wave et le mouvement néo-punk. Margaret (Anne Carlisle) est un mannequin bisexuel qui vit en colocation avec l’artiste conceptuelle Adrian (Paula E. Sheppard). Autour des deux jeunes femmes gravitent des gens excentriques accros à la drogue, notamment le mannequin Jimmy (également interprété par Anne Carlisle). Un soir, une minuscule soucoupe volante se pose sur un toit juste au-dessus de chez Margaret. Son occupant (une entité informe et changeante) étudie de près les mœurs des habitants, visiblement en quête des substances opiacées contenues dans l’héroïne. C’est en tout cas la théorie développée par le professeur Johann Hoffman (Otto von Wernherr), qui débarque à New York pour observer l’engin extra-terrestre. Ce dernier fait une autre découverte étonnante : les opiacés tant recherchés existent en quantité beaucoup plus importante dans le cerveau des humains en plein orgasme…

Expérimental, coloré et hypnotique

Liquid Sky (dont le titre énigmatique est l’un des surnoms donnés à l’héroïne) s’apparente plus à un geste artistique qu’à un film narratif à proprement parler. Certes, il y a bien un récit, une chronologie, des péripéties et des rebondissements dans ce scénario. Mais la manière de les raconter et de les agencer est tellement singulière qu’elle échappe à tout élément de comparaison. L’esthétique est proche de celle des spots publicitaires ou des clips musicaux de l’époque (avec un soin tout particulier apporté à la direction artistique, à la photographie, aux costumes et aux décors), sans pour autant s’y conformer tout à fait. Le montage n’est pas vraiment déstructuré, mais il joue souvent la carte de la narration parallèle en alternant avec minutie plusieurs actions simultanées localisés dans différents quartiers de la ville. Liquid Sky échappe donc systématiquement à toute case dans laquelle on voudrait le ranger. Libre à chacun de trouver le résultat avant-gardiste ou daté, élégant ou vulgaire, fascinant ou soporifique. Toujours est-il que l’expérience reste unique, loin de tous les canons établis. Très remarqué au moment de sa sortie, devenu culte dans des cercles relativement fermés, le film de Tsukerman est un peu tombé dans l’oubli aujourd’hui. Les amateurs d’un cinéma expérimental coloré et hypnotique gagneraient à le redécouvrir.

 

© Gilles Penso


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