MEN (2022)

Le réalisateur d’Ex Machina et Annihilation nous plonge dans une campagne anglaise aux recoins très inquiétants…

MEN

 

2022 – USA / GB

 

Réalisé par Alex Garland

 

Avec Jessie Buckley, Rory Kinnear, Paapa Essiedu, Gayle Rankin, Sarah Twomey, Sonoya Mizuno, Zak Rothera-Oxley

 

THEMA FANTÔMES

Dès le tout début des années 2000, Alex Garland s’est affirmé auprès des amateurs de science-fiction et de fantastique comme un auteur à suivre de près. Après avoir signé les scénarios très remarqués de 28 jours plus tard, Sunshine et Dredd, il passait à la mise en scène avec deux œuvres d’exception : Ex-Machina et Annihilation. Pour son troisième long-métrage, Garland s’éloigne de la SF et de l’anticipation pour arpenter les sentiers de l’horreur psychologique. En apposant son style sur les mécanismes classiques de la « ghost story » campagnarde, le cinéaste semble vouloir ajouter une pierre à l’édifice d’une tendance popularisée par des films tels que The Witch, Under the Skin, Get Out, Hérédité ou Saint Maud : l’« elevated horror ». Derrière ce terme un peu pompeux s’abrite une sorte de nouvelle vague du film d’horreur détournant les codes du genre pour tenter une approche moins frontale, plus intellectuelle et plus minimaliste qu’à l’accoutumée. La plupart des exercices qui se rattachent à cette mouvance sont fascinants, sans évacuer tout à fait le risque de prendre l’horreur de haut en adoptant une posture condescendante et élitiste. Garland ayant lui-même abordé la science-fiction sous un angle réflexif et intime, il n’était finalement pas étonnant qu’il approche l’épouvante de la même manière.

Au début, le tableau est calme, paisible. Une femme regarde le paysage urbain crépusculaire depuis sa fenêtre, accompagnée par une chanson folk enjouée qui semble s’être échappée de Wicker Man. Il y a bien ce détail dérangeant, un peu de sang sur sa lèvre, mais à part ça rien de bien étrange. Londres semble sommeiller dans un soleil orange tandis que goutte une pluie timide. Soudain l’incongru surgit : un homme tombe dans le vide au ralenti en poussant un cri muet. Leurs regards se croisent l’espace d’un instant avec incrédulité. Puis il s’écrase au sol quelques dizaines de mètres plus bas. Cette scène traumatisante va hanter l’héroïne pendant tout le film. Parce que ce n’est pas une mort aléatoire. L’homme est son ex-mari. Tous deux étaient en train de se séparer, il menaçait de mettre fin à ses jours, une violente dispute a éclaté… Et maintenant l’homme est mort. Après ce suicide – à moins qu’il ne s’agisse d’un accident ? -, Harper Marlowe (Jessie Buckley) décide de partir dans le petit village anglais de Cotson pour décompresser et marquer une pause dans sa vie. La nature automnale joue efficacement le rôle de calmant. Mais les choses vont bientôt dégénérer…

Les fleurs du mâle

C’est par paliers que s’insinue l’étrangeté puis l’inquiétude et finalement l’horreur. Les hostilités s’enclenchent au moment où Harper découvre un grand tunnel au milieu de la forêt. L’écho permet à sa voix d’y rebondir et de se répondre elle-même en une sorte de concert polyphonique enchanteur. Mais la frayeur se niche au bout de ce tunnel sombre. N’est-il pas curieux qu’aucune présence féminine ne pointe le bout de son nez dans ce village reculé ? Tous les hommes que croise Harper finissent par révéler un comportement insolite, pour ne pas dire effrayant : le propriétaire de la maison qu’elle loue, le vicaire de l’église locale, le policier, le patron du pub, cet adulte au comportement d’enfant, et surtout cet homme muet qui se promène nu et semble vouloir la suivre partout… Les spectateurs les plus attentifs remarqueront que tous ces hommes sont interprétés par le même acteur, Rory Kinnear, un choix artistique qui augmente bien sûr le caractère anormal de la situation. Le mâle est donc une entité hostile dans ce film qui épouse un point de vue 100% féminin, un angle que Garland avait déjà adopté dans Annihilation. Rongée par une culpabilité croissante, Harper vit le dernier acte de Men comme un cauchemar éveillé, jusqu’à ce que le film nous assène des visions gore surréalistes dignes d’un From Beyond ou d’un Society. Mais ces passages excessifs ne servent pas la cause du Grand-Guignol ou de la satire sociale. Ils matérialisent de manière organique les terreurs autopunitives d’Harper, penchant psychanalytique des nouvelles chairs mises en scène par David Cronenberg, et achèvent sur une note déstabilisante ce conte horrifique décidément atypique.

 

© Gilles Penso


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