PEARL (2022)

Ti West dirige une nouvelle fois l’étonnante Mia Goth dans une fable champêtre faussement idyllique servant de prélude au sulfureux X

PEARL

 

2022 – USA

 

Réalisé par Ti West

 

Avec Mia Goth, David Corenswet, Tandi Wright, Matthew Sunderland, Emma Jenkins-Purro, Alistair Sewell

 

THEMA TUEURS

Ti west et son actrice principale / co-productrice / co-scénariste Mia Goth pensaient déjà à Pearl avant d’entamer le tournage de X. C’est pendant la quarantaine de deux semaines qui leur est imposée en pleine pandémie du Covid 19, au cœur de la Nouvelle-Zélande, que tous deux développent à distance le script de cette « prequel » racontant la jeunesse trouble de la vieille texane patibulaire que rencontreront les protagonistes de X à la fin des années 70. Ce projet est approuvé par la compagnie de production A24 juste avant le début du tournage de X. Les deux longs-métrages sont donc filmés simultanément, bien qu’ils se situent aux antipodes d’un point de vue stylistique. Pour préparer Mia Goth au ton de Pearl et à l’élaboration de son personnage, West lui suggère le visionnage de deux films bien spécifiques, Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (pour le caractère psychotique et oppressant du récit) et Le Magicien d’Oz (pour le cadre champêtre et fermier dans lequel se situe l’intrigue). Armée de ces deux références, l’actrice entre dans la peau d’une adolescente naïve et profondément perturbée qui cherche sa place dans le monde, au beau milieu du Texas rural de 1918, soit six décennies avant les événements racontés dans X.

Pearl est une jeune femme un peu étrange qui rêve de devenir danseuse mais que la dure vie à la campagne contraint à des tâches ingrates, auprès de sa mère austère et autoritaire (Tandi Wright) et de son père infirme, muet et paralysé (Matthew Sunderland). Malgré son jeune âge, elle est déjà mariée, même si son époux est parti au front et risque sa vie dans les tranchées. Reviendra-t-il un jour ? Perdue dans ses songeries, Pearl se réfugie donc dans un monde fantaisiste, danse et fait l’amour avec un épouvantail au milieu d’un champ qu’on croirait échappé des Démons du maïs, s’imagine star d’un film musical et se lie d’amitié avec un grand crocodile qui erre dans les marais (on en vient à se demander si ce saurien, qui fait aussi une apparition remarquée dans X, n’est finalement pas le fruit de son imagination). La confusion entre la réalité et le monde imaginaire s’accroît, le trouble mental s’installe, la psychopathie guette et la mort ne saurait tarder à frapper…

Au seuil de la folie

Le prologue de Pearl semble vouloir pasticher les films de princesses Disney, avec cette jeune fermière qui rêve d’être une star et parle aux animaux, accompagnée d’une musique exagérément lyrique de Tyler Bates. Le décor est idyllique, coloré, champêtre. Mais très vite l’étrangeté et le malaise surgissent. Le film prend pourtant son temps pour basculer dans l’horreur, laissant d’abord à Mia Goth toute la latitude nécessaire pour construire ce personnage distendu et décalé. Soignant avec méticulosité son look, sa démarche et sa diction, Goth aborde un registre qu’elle connaît bien, celui de la femme-enfant (on se souvient de sa prestation dans A Cure for Life), qu’elle décline sur une palette large, de la minauderie espiègle à l’exubérance burlesque en passant par la rage, l’hystérie et la psychose. À ses côtés, Tandi Wright campe une mère épouvantablement rigide dont la bigoterie n’est pas sans rappeler celle de la mère de Sissi Spacek dans Carrie. L’actrice (qui était en charge de superviser les séquences d’intimité dans X) se compose ici un accent allemand plus vrai que nature et lance des regards glaçants sans jamais se départir de sa rigidité intransigeante. Quant à Matthew Sunderland, il hérite du rôle complexe d’un homme muet et quasiment immobile, dont le visage reste pourtant très expressif – avec une prédilection pour la frayeur et l’épouvante. Plus l’intrigue avance, plus l’angoisse s’immisce, plus la situation dégénère, à l’image de ce cochon qui n’en finit pas de se décomposer sur le porche de la jolie maison texane, symbole de la putréfaction qui contamine tout. Le motif de la pandémie (alors très présente pendant le tournage) est intégré dans le film, tout comme celui des premiers films pornographiques (avec l’extrait d’un véritable court-métrage « olé olé » des années 10) et plusieurs clins d’œil à la lettre X. Ce bel exercice de style abordant sans fard le basculement dans la folie meurtrière est donc un complément idéal à X, le diptyque ayant vocation de se muer bien vite en trilogie.

 

© Gilles Penso


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