ALUCARDA (1977)

Deux jeunes filles se rencontrent dans un couvent et se lient d’une amitié profonde… jusqu’à ce que le diable s’en mêle !

ALUCARDA

 

1977 – MEXIQUE

 

Réalisé par Juan Lopez Moctezuma

 

Avec Tina Romero, Susana Kamini, David Silva, Claudio Brook, Lily Garza, Tina French, Birgitta Segerkog, Adrianna Roel, Martin LaSalle, Edith Gonzalez

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Le titre Alucarda ressemble presque à une blague : la féminisation du nom « Alucard », autrement dit « Dracula » épelé à l’envers (une astuce qui apparaissait pour la première fois dans Le Fils de Dracula de Robert Siodmak). Pourtant, le film de Juan Lopez Moctezuma ne prête pas vraiment à rire et prend même son sujet très au sérieux. Il n’est d’ailleurs pas question de vampirisme ici, même si la structure du récit se calque assez fidèlement sur celle de la fameuse nouvelle « Carmilla » de Sheridan le Fanu. Le cœur du sujet du film est la possession diabolique de deux jeunes filles et les conséquences de leur comportement dans leur entourage immédiat. Mais ici aussi, Alucarda nous prend par surprise. Au lieu de se glisser confortablement dans la brèche grande ouverte par L’Exorciste et de se muer en énième imitation du classique de William Friedkin, Moctezuma (dont il s’agit du troisième long-métrage après The Mansion of Madness en 1973 et Mary, Mary, Bloody Mary en 1975) opte pour une approche très différente. De fait, Alucarda évoque plus le cinéma de Ken Russell (notamment Les Diables) que celui de Friedkin. Même s’il s’agit d’une production 100% mexicaine, le film est tourné en anglais, afin de lui offrir une distribution internationale plus large. C’est une sage décision, dans la mesure où cette curiosité vénéneuse aura un fort impact aux quatre coins du monde.

L’intrigue se résume à peu de choses, en réalité. En 1850, Lucy Westenra (Tina Romero) donne naissance à la petite Alucarda qu’elle confie à un vieux gitan avant de mourir. Quinze ans plus tard, la jeune fille (à nouveau incarnée par Tina Romero) vit toujours dans le couvent où elle a été élevée. Lorsque la nouvelle venue Justine (Susana Kamini) intègre l’institution, Alucarda s’intéresse de près à elle. Bientôt, les deux adolescentes sont liées par une amitié solide qui semble inébranlable. Mais un jour, elles visitent un palais abandonné – l’endroit même où Alucarda est née – et y découvrent la tombe de Lucy. Lorsqu’elles l’ouvrent, une force démoniaque s’empare d’elles et les possède. Voilà donc l’essence du scénario, qui sert d’abord de prétexte à l’établissement de tableaux macabres surréalistes d’une étrange beauté : la panique de Lucy face aux vieilles statues couvertes de toiles d’araignée qui semblent soupirer et gémir tout autour d’elle ; la cérémonie occulte où les participants nus dansent et s’accouplent dans la forêt tandis que surgit un prêtre à tête de bouc ; la nonne suspendue au-dessus du sol de sa cellule alors qu’une lueur surnaturelle scintille à sa fenêtre…

Délivrez-nous du mal

Les designs surprenants des décors et des costumes du film, œuvre du directeur artistique Kleomenes Stamatiades, cultivent un primitivisme insolite, à l’image des traditions séculaires de cet ordre religieux qui semble ne pas avoir évolué depuis le moyen-âge. Le couvent ressemble ainsi à une caverne sommairement aménagée dans laquelle une chapelle cyclopéenne abrite une infinité de bougies et des dizaines de statues du Christ en suspension. Les religieuses elles-mêmes sont affublées de haillons leur donnant des allures de momies. Quant au palais abandonné, berceau d’Alucarda et siège du Mal, c’est désormais un bâtiment décrépi où la nature a repris ses droits et où se dressent de sinistres statues. La première grande scène choc montre Alucarda en pleine crise de possession, nue comme un ver, contorsionnée, un poignard à la main, tandis qu’un gitan surgi inexplicablement du néant dévêt Justine. Pour sceller un pacte indélébile, chacune boit le sang de l’autre. Dès lors, l’hystérie et la culpabilité se répand comme une traînée de poudre au sein du couvent, chacun s’auto-flagellant pour chasser le démon qui pourrait se montrer trop tentateur. L’inévitable scène d’exorcisme montre Justine crucifiée, dénudée et saignée devant une assistance de nonnes gémissantes. La thématique du conflit entre la science et la religion s’invite lorsqu’un médecin s’insurge en découvrant ce spectacle. « C’est la chose la plus honteuse que j’ai vu de ma vie ! » s’exclame-t-il, outré. « Nous ne sommes plus au 15ème siècle. Je pensais que la raison avait remplacé la superstition ! » Mais ses fermes convictions vont se heurter à l’inexplicable… Et pour mieux semer le trouble, Juan Lopez Moctezuma confie au même acteur, Claudio Brook, deux rôles antithétiques : le docteur qui ne jure que par la raison et le gitan bossu qui perpétue les croyances et les superstitions. Baigné dans une étrange musique synthétique, porté par une mise en scène inventive, Alucarda s’achève sur un climax apocalyptique saturé de hurlements de terreur qui n’est pas sans évoquer celui de Carrie.

 

© Gilles Penso


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