LE MENU (2022)

Ralph Fiennes entre dans la peau d’un chef austère et renommé dont la table prestigieuse réserve bien des surprises…

THE MENU

 

2022 – USA

 

Réalisé par Mark Mylod

 

Avec Ralph Fiennes, Anya Taylor-Joy, Nicholas Hoult, Hong Chau, Janet McTeer, Paul Adelstein, John Leguizamo, Aimee Carrero, Reed Birney, Judith Light

 

THEMA TUEURS

Le soir de sa lune de miel, le scénariste Will Tracy (plume prolifique du show satirique Last Week Tonight with John Oliver) dîne dans un prestigieux restaurant insulaire norvégien, le Cornelius Sjømatrestaurant, et retire de cette expérience insolite l’idée d’un film qui oscillerait entre la comédie noire, la satire sociale et l’horreur. L’auteur Seth Reiss, lui aussi spécialisé dans l’écriture de shows comiques populaires (The Onion, Late Night with Seth Meyers) se joint à lui pour l’écriture de ce qui deviendra Le Menu. Ce scénario fait le tour d’Hollywood, attirant les convoitises, et sera finalement produit par Adam McKay, Betsy Koch et Will Ferrell. Reste à trouver le réalisateur idéal. C’est d’abord Alexander Payne (Monsieur Schmidt, Nebraska, Downsizing) qui est contacté, avec en tête l’idée de confier le rôle féminin principal à Emma Stone. Mais des contraintes de planning changent les plans initiaux. Stone sera remplacée par l’étonnante Anya Taylor-Joy (The Witch, Last Night in Soho) dont le regard immense lui vaut une réplique taillée sur mesure (« J’ai eu les yeux plus gros que le ventre »). Quant à la mise en scène, elle échoit à Mark Mylod (Ali G, The Big White, Sex List et des tonnes d’épisodes de séries télévisées). Pour doter son film d’un maximum de crédibilité, Mylod s’entoure d’experts du monde de la haute gastronomie (notamment la cheffe étoilée Dominique Crenn) et sollicite le réalisateur de deuxième équipe David Gelb à qui il demande de retrouver certains gimmicks de la célèbre émission culinaire Chef’s Table.

Le Menu nous familiarise d’abord avec Tyler Ledford (Nicholas Hoult), un homme tellement passionné par la gastronomie qu’il est prêt à dépenser une fortune pour participer à un dîner très élitiste organisé dans le restaurant du chef Julian Slowik (Ralph Fiennes), situé sur une île privée. Il y emmène sa compagne Margot Mills (Anya Taylor-Joy), moins enthousiaste que lui mais prête à partager ce plaisir à ses côtés. Dix autres convives se joignent à eux : une critique gastronomique blasée et son rédacteur en chef sans personnalité, un vieux couple d’habitués discrets, une star de cinéma roublarde et son assistante personnelle, trois jeunes cadres arrogants et une vieille dame silencieuse. Au fil du repas, les personnalités se révèlent, les caractères affleurent, les sentiments s’exacerbent. Et l’on finit par constater que ces hôtes personnifient à merveille les sept péchés capitaux. C’est presque à une Cène qu’il nous semble assister, scénographiée par un chef/gourou autoritaire, austère et énigmatique dont chaque plat semble être la pièce d’une grande œuvre dont la finalité reste mystérieuse…

L’ultime souper

Le casting de premier ordre du film est dominé par Ralph Fiennes, parfait en maître de cérémonie sévère et glacial, tandis qu’Anya Taylor-Joy joue les mouches du coche et Nicolas Hoult un gastronome aveuglé par son exaltation. La prestation de John Leguizamo en ex-star de cinéma d’action devenue ringarde (rôle qu’il aurait façonné en pensant à Steven Seagal !) est tout autant délectable. Tous deviennent malgré eux les pantins d’une sorte de théâtre de marionnettes sur le point de se transformer en petite boutique des horreurs. L’atmosphère de menace sourde s’installe dès l’entame mais reste encore indéfinissable dans un premier temps. C’est lorsque se met en route le cérémonial exagérément sentencieux et solennel des grands restaurants étoilés (poussé ici jusqu’à la caricature) que l’inquiétude croit. Il n’est pas impossible de lire dans cette intellectualisation extrême de la gastronomie une critique de cette démarche discutable poussant certains chefs à transformer les plats en exercices conceptuels perdant en cours de route leur fonction première, celle de ravir les papilles et de satisfaire les appétits. Mais c’est surtout d’art de la manipulation qu’il est ici question. On pense aux mécanismes des expériences de psychosociologie au cours desquelles le prestige de l’uniforme (ici celui d’un chef renommé) permet d’autoriser l’inacceptable. Jusqu’où est-on prêt à se soumettre face à une figure faisant autorité ? Sur cette base passionnante, le scénario du Menu rebondit sans cesse, menant les spectateurs par le bout du nez sans lui permettre d’anticiper la tournure que s’apprêtent à prendre les événements.

 

© Gilles Penso


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