SOMETHING IN THE DIRT (2022)

Deux hommes assistent à un phénomène inexpliqué dans un petit appartement et décident d’en tirer un documentaire…

SOMETHING IN THE DIRT

 

2022 – USA

 

Réalisé par Justin Benson et Aaron Moorhead

 

Avec Justin Benson, Aaron Moorhead, Sarah Adina Smith, Wanjiru M. Njendu, Issa Lopez, Vinny Curran, Jeremy Harlin, Gille Klabin, C. Robert Cargill

 

THEMA CINÉMA ET TÉLÉVISION

Auteurs, réalisateurs (et parfois interprètes) de films de science-fiction indépendants, originaux et atypiques (Résolution, Spring, The Endless, Synchronic), Justin Benson et Aaron Moorhead se sont laissé courtiser par le studio Disney pour lequel ils ont réalisé des épisodes des séries Marvel Moon Knight et Loki. Mais leur personnalité n’en a pas été altérée pour autant, comme en témoigne Something in the Dirt, un cinquième long-métrage tout aussi risqué et audacieux que les précédents. Conçu pendant le confinement imposé par la crise sanitaire du Covid-19 en 2020, le film est envisagé sous un angle radicalement minimaliste : deux protagonistes seulement (interprétés par les réalisateurs), un décor unique (l’appartement réel de Justin Benson) et une équipe technique réduite à une dizaine de personnes. Something in the Dirt est donc un film-concept qui aurait pu se contenter de son idée première mais nous transporte d’emblée sur des territoires inattendus, à mi-chemin entre l’intimisme extrême et l’infiniment grand. Dès l’entame, au cours de laquelle Levi, un jeune homme incarné par Justin Benson, se réveille dans un petit appartement sale et désordonné, la mise en scène induit une approche insolite et déstabilisante.

Ancien pêcheur sous-marin, Levi vivote comme barman à Los Angeles et vient de s’installer dans ce modeste logement du quartier de Laurel Canyon, après quelques démêlées avec la justice et un long séjour dans un institut psychiatrique. Le premier voisin qu’il croise est John (Aaron Moorhead), professeur de mathématiques et photographe amateur qui fut chassé de l’église évangéliste apocalyptique dont il était un membre actif à cause de son homosexualité. Tous deux ont donc des comptes à rendre avec leur passé et semblent avoir échoué dans leurs objectifs de vie respectifs, mais est-il trop tard ? Alors que John et Levi discutent ensemble, ils sont soudain témoins d’un phénomène surnaturel dans le petit appartement. Face à eux, des objets en quartz se mettent à briller étrangement puis flottent dans les airs. Cette soustraction subite aux lois physiques les plus élémentaires s’assortit d’autres bizarreries inexpliquées, comme l’apparition d’un symbole géométrique, des flash lumineux stroboscopiques, des séismes intermittents et des signaux radios indéchiffrables. Incrédules, Levi et John décident de tirer parti de cette situation paranormale pour tourner un documentaire…

Destin ou coïncidences ?

Le décor étant planté, le scénario progresse au fil des théories successives qu’échafaude le duo (théories alimentées par les croyances personnelles mais aussi et surtout les informations glanées sur Internet, sur Youtube ou dans des podcasts). Ont-ils affaire à des fantômes ? Des extra-terrestres ? Des mondes parallèles ? Des radiations ? Plus l’intrigue avance, moins le hasard semble avoir de prise sur cette situation, comme si l’emménagement de Levi, sa rencontre avec John et les lourds fardeaux issus du passé que tous deux portent sur les épaules étaient le fruit d’un obscur plan préétabli, ou plutôt d’une logique mathématique (ce que laissent entendre cette figure géométrique récurrente ou ce nombre 1908 qui revient sans cesse). Mais encore une fois, rien n’est certain. Something in the Dirt parle de conspirations et de secrets en laissant volontairement toutes les questions en suspens. Car le film d’intéresse plus à l’effet que le phénomène paranormal a sur ses deux protagonistes qu’au phénomène lui-même, comme en témoigne cette séquence étonnante au cours de laquelle tout le mobilier de l’appartement est soudain soumis à l’apesanteur tandis que John et Levi s’adressent des reproches et des insinuations, à peine intéressés par le spectacle surréaliste qui se déroule sous leurs yeux. Something in the Dirt s’attache aussi au processus de la création d’un film, d’où un certain nombre de mises en abîmes troublantes nous poussant sans cesse à nous demander si ce que nous regardons est censé être une fiction, des extraits du faux documentaire, des séquences supposément réelles ou des reconstitutions. L’une des mentions du générique de fin, qui incite les spectateurs à faire des films entre amis, ajoute à cet effet de miroir. Voilà donc une œuvre résolument hors norme, ciselée avec une minutie toute particulière (la bande son, le cadre, la lumière et le montage sont aux petits oignons), interprétée avec beaucoup de justesse et non dénuée d’humour. Décidément, Benson et Moorhead ne font rien comme les autres et ajoutent avec ce cinquième film une nouvelle pièce au puzzle fascinant de leur filmographie.

 

© Gilles Penso


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