WINNIE L’OURSON, DU SANG ET DU MIEL (2023)

Et si le plus célèbre et le plus gourmand des petits ours se transformait en tueur sanguinaire et psychopathe ?

WINNIE THE POOH : BLOOD AND HONEY

 

2023 – GB

 

Réalisé par Rhys Frake-Waterfield

 

Avec Craig David Dowsett, Chris Cordell, Amber Doig-Thorne, Nikolai Leon, Maria Taylor, Natasha Rose Mills, Danielle Ronald

 

THEMA MAMMIFÈRES

Un film d’horreur avec Winnie l’ourson ? Comment cela est-il possible ? Tout simplement grâce à une opportunité que le réalisateur Rhys Frake-Waterfield a su saisir au vol. Avant d’être le héros ultra-populaire d’une série animée des studios Disney, Winnie est l’œuvre de l’auteur pour enfants Alan Alexander Milne qui lui donne naissance en 1946 en s’appuyant sur les dessins d’Ernest Howard Shepard. Or à partir du 1er janvier 2022, le premier livre consacré à l’ourson amateur de miel tombe dans le domaine public. Frake-Waterfield saute aussitôt sur l’occasion et développe son projet fou : Winnie the Pooh : Blood and Honey. Rien ne l’empêche désormais d’accommoder le sympathique ursidé et ses compagnons à la sauce qui lui chante, du moment qu’il ne reprend pas les designs de Disney. Amateur de concepts délirants que ne réfrène jamais l’anémie des budgets à sa disposition, l’audacieux metteur en scène avait déjà signé par le passé quelques micro-productions autant anecdotiques qu’improbables comme The Area 51 Incident (une histoire d’extra-terrestres), Firenado (un film catastrophe avec une tornade de feu) ou l’impensable Killing Tree (un slasher avec un sapin de Noël psychopathe !). Alors pourquoi pas un survival sanglant avec Winnie dans le rôle du croquemitaine ? Avec un budget inférieur à 100 000 dollars (la plus grosse enveloppe qu’il ait eu à sa disposition jusqu’alors), Rhys Frake-Waterfield s’installe pendant dix jours dans les forêts du Sussex avec sa petite équipe de tournage.

Un prologue à base de croquis animés nous raconte la genèse de cette histoire abracadabrante. Au début, tout va bien. Le jeune Christopher se lie d’amitié avec un groupe d’animaux anthropomorphes dans les bois : l’ourson Winnie, le cochon Porcinet, l’âne Bourriquet ainsi qu’un lapin et un hibou. La situation nous est familière. Mais l’enfant grandit et part à l’université, laissant ses amis livrés à eux-mêmes en cessant de leur rendre visite. Sans Christopher pour les nourrir ou les guider, Winnie et ses compagnons souffrent d’une famine extrême et sont réduits à tuer Bourriquet pour le manger ! Traumatisé par cet acte barbare, le petit groupe se met à développer une haine viscérale contre l’humanité en général et contre Christopher en particulier. Ils retournent à leurs instincts sauvages, décident de ne plus parler et se muent en assassins de la pire espèce. Ignorant tout du drame, Christopher décide un jour de revenir dans les bois avec sa fiancée, tout guilleret…

Laid comme un Pooh

On note d’emblée un saut qualitatif par rapport aux films précédents du réalisateur. La photo s’avère plus soignée, la mise en scène plus nerveuse, le rythme un peu plus serré. Le long prégénérique distille ainsi une atmosphère anxiogène efficace. Assez tôt, Rhys Frake-Waterfield assume l’une de ses références majeures, en l’occurrence Massacre à la tronçonneuse dont il convoque une grande partie de l’imagerie : le décor rural glauque, la station-service abandonnée, les crochets de bouchers, le grand marteau mué en arme, les squelettes, les carcasses, les restes humains… Même les silhouettes balourdes et primitives de Winnie et Porcinet évoquent Leatherface. Les designs de ces derniers laissent cependant perplexes dans la mesure où ils ressemblent exactement à ce qu’ils sont : des hommes en salopette avec des masques en plastique sur la tête. Jamais nous ne parvenons à les appréhender comme les créatures hybrides qu’ils sont censés êtres. Sans doute Rhys Frake-Waterfield aurait-il dû opérer un choix narratif tranché : en faire de véritables monstres semi-anthropomorphes (ce qui aurait nécessité des effets spéciaux beaucoup plus performants) ou alors de simples psychopathes humains se prenant pour des animaux (ce à quoi ils ressemblent en fin de compte). L’autre parti-pris bizarre du film – qui finit par jouer en sa défaveur – est son obstination à rester très sérieux, quitte à convoquer les grands sentiments, les traumas et même la psychanalyse. Un peu plus de gore exubérant (comme avec la scène de la voiture) d’idées visuelles originales (le selfie qui révèle la silhouette des monstres) et de second degré auraient été largement appréciables. En l’état, ce Winnie nous laisse un peu sur notre faim…

 

© Gilles Penso


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