

Après un deuil, un jeune Américain décide de séjourner en Italie et y tombe amoureux d’une femme qui n’est pas ce qu’elle semble être…
SPRING
2014 – USA
Réalisé par Justin Benson et Aaron Moorhead
Avec Lou Taylor Pucci, Nadia Hilker, Francesco Carnelutti, Nick Nevern, Chris Palko, Jonathan Silvestri, Jeremy Gardner, Vinny Curran, Holly Hawkins
THEMA MUTATIONS
Après le succès critique de Resolution en 2012, Justin Benson et Aaron Moorhead signent avec Spring un second long-métrage radicalement différent en apparence, mais profondément lié à leurs obsessions thématiques, notamment le rapport entre l’humain et l’inconnu et l’incursion des mythes dans le monde quotidien. Tourné sur les côtes ensoleillées du sud de l’Italie, Spring se présente comme une romance mélancolique avant de se muer, lentement, en quelque chose de beaucoup plus insolite. Lorsque le film commence, nous apprenons qu’Evan (Lou Taylor Pucci), jeune Américain à la dérive, vient de perdre sa mère et son emploi. Fuyant la violence de sa vie stagnante, il s’envole sur un coup de tête vers l’Europe et atterrit dans un petit village côtier des Pouilles, Polignano a Mare, où le bleu éclatant de la mer contraste avec le vide intérieur qu’il ressent. Là, il fait la connaissance de Louise (Nadia Hilker), une étudiante en génétique aussi séduisante qu’énigmatique. Leur rencontre, d’abord banale, prend vite des allures de conte sensuel et étrange. Louise se montre tour à tour passionnée et distante, spontanée et fuyante. Derrière son charme, quelque chose cloche.


Benson et Moorhead prennent le temps d’installer leur récit. La première moitié du film fonctionne comme un drame initiatique, porté par le réalisme du jeu des acteurs et par la douceur presque documentaire des images. La caméra suit Evan dans son deuil, ses errances, ses conversations maladroites et ses émerveillements face à l’Italie. Rien, ou presque, ne laisse deviner la tournure que va prendre l’histoire. Ce refus du spectaculaire immédiat inscrit Spring à contre-courant du cinéma fantastique de son époque, préférant la lente maturation émotionnelle à l’effet de surprise. Lorsque l’étrangeté s’immisce enfin, elle le fait avec une élégance dérangeante. Louise se transforme, littéralement. Par crises successives, son corps échappe au contrôle : sa peau se couvre d’écailles, des excroissances surgissent, des tentacules s’agitent dans l’ombre. Ces métamorphoses nous renvoient à la prose de Lovecraft, jusqu’à ce que la jeune femme finisse par révéler sa nature. Il s’agit d’une créature immortelle qui se régénère tous les vingt ans en s’accouplant avec un homme et en absorbant les cellules de l’embryon conçu, donnant naissance à une nouvelle version d’elle-même.
L’amour ou l’immortalité ?
Là où les récits lovecraftiens invoquent souvent des puissances cosmiques indicibles, les deux cinéastes choisissent la voie de l’intime. L’incommensurable se loge dans la chair, dans la peur de mourir. Mais au-delà de son concept vertigineux, Spring est avant tout une histoire d’amour d’une sincérité désarmante. Evan, paumé et vulnérable, retrouve dans sa relation avec Louise une raison d’exister. Face à cette femme qui défie la mort, il choisit la vie. À travers cette relation impossible, Benson et Moorhead interrogent la notion même de passion amoureuse. La dernière partie du film entre dans une dimension presque métaphysique. Alors que Louise doit choisir entre perpétuer son cycle ou mourir, Spring se transforme ainsi en parabole sur le temps et la transformation. Récompensé dans de nombreux festivals (Sitges, Austin, Palm Springs), Spring confirme Benson et Moorhead comme des auteurs à part dans le paysage du fantastique contemporain. La suite de leur filmographie, fascinante, ne fera que confirmer les promesses de leurs deux premiers longs-métrages, d’une audace rare malgré des moyens dérisoires.
© Gilles Penso
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