BENNY’S VIDEO (1992)

Michael Haneke dresse le portrait glaçant d'un jeune adolescent qui bascule dans le meurtre avec indifférence

BENNY’S VIDEO

1992 – AUTRICHE

Réalisé par Michael Haneke

Avec Arno Frisch, Angela Winkler, Ulrich Mühe, Ingrid Stassner, Stephanie Brehme, Stefan Polasek, Christian Pundy, Max Berner

THEMA ENFANTS I CINEMA ET TELEVISION

Une mise en scène austère, un rythme lent, des comédiens sobres, une quête permanente d’hyperréalisme… Les films de Michael Haneke sont moins des spectacles que des tranches de vie… ou plutôt des tranches de viande, tant le cinéaste autrichien semble attiré par la violence meurtrière qui couve dans les milieux bourgeois aseptisés. Benny’s Video se rattache d’ailleurs à une sorte de trilogie que le cinéaste a baptisé la « saga de la glaciation émotionnelle », aux côtés du Septième continent et de 71 fragments d’une chronologie du hasard. Les thématiques d’Haneke, qui prennent souvent appui sur des faits divers réels, sont d’ailleurs sensiblement identiques d’un film à l’autre : le fossé entre les générations, l’indifférence des adultes et la dérive des enfants, laquelle prend souvent une tournure sanglante.

Le lycéen Benny (Arno Frisch), coupé de toute communication avec des parents trop souvent absents, s’est enfermé dans l’univers de la vidéo. Il passe ses journées à filmer son entourage, à braquer des caméras vidéo dans sa rue et dans sa chambre, à monter avec son magnétoscope high-tech les images qu’il collecte et à louer des films au vidéoclub. C’est là qu’il rencontre une fille de son âge (Ingrid Stassner) qui ne le laisse pas indifférent. Il l’invite chez lui pour l’après-midi, lui montre tout son équipement, déjeune avec elle, puis lui fait voir les images de la mise à mort d’un cochon qu’il a lui-même filmées dans une ferme. Le spectacle est assez insoutenable (y compris pour le spectateur, car cette scène est dénuée du moindre trucage), mais elle semble laisser indifférents les deux adolescents, apparemment blasés par des images de mort dont la télévision et le cinéma les abreuvent sans doute à outrance.

« Qui pourrait soupçonner un enfant ? »

Peu après, en jouant avec le pistolet d’abattage qu’il a récupéré dans la ferme, Benny blesse la lycéenne. Ses hurlements (hors champ) deviennent insupportables, et pour les faire cesser l’adolescent finit par la tuer, tandis que le caméscope de sa chambre continue à filmer sans discontinuer. Pas traumatisé outre mesure, Benny conserve le cadavre dans sa chambre et reprend ses activités comme si de rien n’était. Plus que la violence de l’acte, c’est ici sa gratuité qui choque, ainsi que l’impensable froideur qui l’accompagne. Y compris de la part des parents qui sont finalement mis dans la confidence par leur fils, preuve vidéo à l’appui. Au lieu de la réaction d’horreur qu’on aurait pu supposer, ces derniers demeurent désespérément insensibles et pragmatiques. « Qui pourrait soupçonner l’enfant ? » lâche avec un calme intolérable le père (Ulrich Mühe, future tête d’affiche du magnifique La Vie des autres). Comme la plupart des films d’Haneke, Benny’s Video emprunte les thèmes du film d’horreur sans jamais sacrifier à leurs codes. Mais en se plaçant volontairement à contre-courant de toute dramaturgie digne de ce nom, il finit par manquer la plupart de ses objectifs, son propos nous échappant en grande partie. « Je ne sais pas » est la réponse que Benny donne le plus souvent tout au long du film, que la question porte sur ses sentiments, ses envies ou ses motivations. Ce pourrait être également celle du public face aux intentions de Michael Haneke.

 

© Gilles Penso

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