À travers la caméra d'Alain Resnais, le voyage dans le temps se transforme en expérience sensorielle inédite et vertigineuse
JE T’AIME JE T’AIME
1968 – FRANCE
Réalisé par Alain Resnais
Avec Claude Rich, Olga Georges-Picot, Anouk Ferjac, Alain MacMoy, Vania Vilers, Ray Verhaeghe, Van Doude
THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS
Alain Resnais a toujours été friand d’expérimentations avant-gardistes, bouleversant souvent les conventions scénaristiques traditionnelles, se jouant de la chronologie et déstructurant à loisir la narration et le fil des événements. C’était déjà le cas dans Hiroshima Mon Amour ou L’Année Dernière à Marienbad. Mais dans Je t’aime Je t’aime ces expériences semblent poussées à leur paroxysme, comme si le film tout entier était devenu un sujet d’étude. D’où une étrange adéquation entre le scénario, signé Jacques Sternberg, et son héros, Claude Ridder, incarné par un tout jeune Claude Rich. Après une tentative de suicide, ce dernier est cueilli à sa sortie de l’hôpital par des scientifiques qui souhaitent le faire participer à un test très particulier. Le principe ? Le renvoyer un an dans le passé pendant une minute, plus précisément le 5 septembre 1966 à 16 heures. Les essais effectués sur des souris ayant été fructueux, l’étape suivante est le cobaye humain. Claude n’ayant plus rien à perdre, il accepte. La forme de la machine à remonter le temps marque d’emblée une rupture avec l’imagerie science-fictionnelle classique. Au lieu d’un appareillage sophistiqué, nous découvrons une espèce de meringue géante hérissée d’antennes. Allongé dans un lit de forme molle, aux côtés d’une souris en bocal, Claude est soumis à une dose massive de drogue.
Désormais immobile mais parfaitement lucide, il devient spectateur de son propre passé. Il revit sa rencontre avec sa femme Catrine, sa rupture, son gravissement des échelons sociaux depuis les tâches subalternes d’emballeur de colis jusqu’à ses succès d’écrivain. Comme dans un rêve, les scènes s’enchaînent au mépris de la chronologie, se répètent, s’inversent, bégaient. Par moments, les souvenirs dérapent. Il aperçoit ainsi la souris qui gambade sur le sable de la plage, se retrouve dans les couloirs d’une administration dont les départements sont la psychose et la névrose, organise une course de vitesse entre trois montres… Il devient évident que l’expérience ne se déroule pas comme prévu, car chaque fois que Claude revient d’un de ses voyages dans le passé, il repart aussitôt. Chez les scientifiques, on commence à s’inquiéter : faut-il le réveiller en plein état transitoire ou poursuivre l’expérience coûte que coûte ?
La source d'inspiration de Christopher Nolan ?
L’exercice de style de Je t’aime je t’aime est fascinant, quasi hypnotique. Ce qui ressemble de prime abord à un collage surréaliste obéit en réalité à une logique imparable. Comme souvent chez Resnais, le film réclame la participation du public, afin que le puzzle soit reconstitué et que chaque pièce soit remise dans le bon ordre. On pense parfois aux Choses de la Vie de Claude Sautet, et l’on imagine surtout l’impact qu’un tel film a pu avoir sur des cinéastes tels que Christopher Nolan, Memento ou Inception payant un tribut manifeste à Resnais. Nimbé d’une musique envoûtante laissant la part belle aux chœurs aériens, paré de dialogues volontiers poétiques (« la peur c’est quand on a chaud, la terreur c’est quand on a froid »), Je t’aime je t’aime est une œuvre totalement atypique, dont le concept même nous évoque une phrase de l’auteur Jacques Goimard : « le souvenir est déjà un voyage dans le passé ».
© Gilles Penso
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