LA BEAUTÉ DU DIABLE (1949)

Gérard Philipe et Michel Simon jouent à tour de rôle Faust et le Diable dans ce conte fantastique dirigé de main de maître par René Clair

LA BEAUTÉ DU DIABLE

1949 – FRANCE / ITALIE

Réalisé par René Clair

Avec Michel Simon, Gérard Philipe, Nicole Besnard, Simone Valère, Gaston Modot, Paolo Stoppa, Raymond Cordy

THEMA DIABLE ET DEMONS

« Une tragi-comédie écrite par René Clair et Armand Salacrou et réalisée par René Clair d’après la légende de Faust, l’homme qui vendit son âme au diable. » C’est en ces termes que le projet de La Beauté du Diable, imaginé par le réalisateur de C’est arrivé demain à la fin des années 40, s’annonce au cours du générique qui ouvre le film. Nous sommes en Italie, au milieu du 19ème siècle. Le vieux professeur Henri Faust (Michel Simon), est célébré pour les cinquante années de bons et loyaux services qu’il a dédiés à la science. Certes, il n’a jamais vraiment percé les secrets de la nature, ni assouvi son vieux rêve d’alchimiste qui consistait à changer le sable en or. Mais ses travaux sont salués dans toute la ville, et des centaines d’étudiants assistent à son jubilé. L’un d’entre eux, un peu en retrait, regarde le savant d’un œil cynique. Et pour cause : il s’agit de Méphistophélès (Gérard Philipe), venu lui offrir une seconde jeunesse. Faust n’est pas dupe, et sait bien qu’un mauvais tour se cache derrière cette proposition alléchante. Mais l’envoyé de Lucifer ne lui propose aucun contrat, simplement un échantillon de ce que serait sa vie s’il la recommençait dans la vigueur et l’insouciance. Bien sûr, le vénérable scientifique se laisse tenter, et l’une des meilleures idées du film crève alors l’écran : comme si Clair nous offrait une relecture surprenante de « L’étrange cas du docteur Jekyll et de Mister Hyde », les rôles s’inversent. Ce bon vieux Michel Simon endosse dès lors la défroque du démon sournois, tandis que le juvénile Gérard Philipe devient un Faust revenu au printemps de son existence.

Dans les spacieux plateaux de Cinecitta, le cinéaste et son chef décorateur Léon Barsacq (Les Enfants du Paradis) édifient bon nombre de décors volontairement déconnectés d’une réalité trop brute, comme le palais princier de la ville, le laboratoire où Faust et Méphisto fabriquent de l’or ou encore l’immense atelier dans lequel ils imaginent des inventions visionnaires. Volontairement, Clair se positionne un peu à contrecourant du style visuel des années 40, son œuvre ayant plutôt le parfum de celles d’avant-guerre et empruntant plusieurs de ses effets au théâtre. Gérard Philipe lui-même, avec sa voix fluette et son jeu outré, semble échappé des planches et rattrape par son magnétisme angélique une prestation sans doute trop maniérée. Quant à Michel Simon, il n’évite pas le cabotinage et ricane plus que de raison, mais comment résister à un tel abatage ?

Quand le théâtre et le cinéma fusionnent

Finalement, c’est lorsque la machinerie théâtrale et le langage cinématographique fusionnent que La Beauté du Diable fascine le plus. Quand le décor du palais s’efface derrière Méphisto pour se muer en canal désaffecté, ou quand un grand miroir révèle à Faust les événements qui se produiront dans le futur, une magie indéniable irradie le métrage. Et lorsque les fumigènes s’élèvent dans les cieux noircissant pour évoquer la présence du Malin, c’est l’âme de Georges Méliès qui emplit l’écran. La Beauté du Diable est donc une œuvre atemporelle à cheval entre plusieurs courants stylistiques, à l’image de son duo d’acteurs incarnant à merveille le choc de deux générations et de deux époques qui d’ordinaire se tournent le dos.

© Gilles Penso 

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