STAR WARS EPISODE VIII – LES DERNIERS JEDI (2017)

Rian Johnson prend le relais de J.J. Abrams pour redéfinir sous un angle surprenant les codes et l'esthétisme de la saga

STAR WARS : EPISODE VIII – THE LAST JEDI

2017 – USA

Réalisé par Rian Johnson

Avec Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac, Adam Driver, Mark Hamill, Carrie Fisher, Joonas Suotamo, Gwendoline Christie, Andy Serkis, Domhnall Gleeson, Anthony Daniels, Jimmy Vee, Laura Dern, Benicio del Toro

THEMA SPACE OPERA I SAGA STAR WARS

Conscient de certaines des faiblesses narratives du Réveil de la Force, Rian Johnson a trouvé le moyen de les justifier habilement dans Les Derniers Jedi, voire de les tourner gentiment en dérision, en un exercice de haute voltige scénaristique assez étourdissant. Le traitement des nombreux personnages s’affrontant dans ce huitième épisode témoigne de cet état de fait. Si Rey (Daisy Ridley) et Finn (John Boyega) demeurent les figures centrales de l’intrigue, le cinéaste n’hésite pas à les reléguer parfois à l’arrière-plan pour mieux développer les autres personnages. Gauche et peu crédible dans Le Réveil de la Force, Kylo Renn (Adam Driver) s’étoffe. Ses conflits intérieurs et ses prises de position parfois irrationnelles révèlent leur propre cohérence, au sein d’un parcours psychologique semé d’obstacles. Snoke (Andy Serkis) n’est plus un simple ersatz de l’Empereur mais une entité maléfique à part entière, partagée entre la duplicité et la toute-puissance. De l’autre côté de la Force, nous redécouvrons enfin une Princesse Leïa en pleine possession de ses moyens. Si rigide chez J.J. Abrams, la regrettée Carrie Fisher prend l’ampleur qu’elle mérite et révèle même des capacités insoupçonnées lors d’une démonstration inattendue de l’utilisation de la Force, au cours d’une séquence très risquée qui aurait pu sombrer dans le grotesque si Rian Johnson ne l’avait pas nimbée de poésie et de beauté. Luke Skywalker lui-même, resté en suspens deux ans plus tôt, a désormais l’âge et l’expérience du vieil Obi Wan Kenobi, mais a-t-il acquis sa sagesse ? Il est permis d’en douter, et le rôle majeur qu’il s’apprête à jouer dans le dénouement du conflit demeure incertain. Très en retrait jusqu’alors, le pilote Poe Dameron (Oscar Isaac) se révèle être l’un des personnages clés de cette nouvelle guerre des étoiles. Tête brûlée aux décisions souvent impulsives, il rappelle par certains traits de son caractère la fougue de Han Solo sans pour autant chercher à l’imiter. 

Car Rian Johnson a compris qu’il n’était plus nécessaire de calquer les épisodes de la trilogie originale pour développer la saga. Le cinéaste la transporte donc dans des territoires inexplorés, resserrant l’intrigue jusqu’à la muer en une sorte de compte à rebours infernal au cours duquel les jours de la Résistance semblent comptés. Ce sentiment d’urgence est perceptible dès l’incroyable bataille spatiale du prologue où des bombardiers rebelles sont lâchés sur un destroyer impérial afin de le détruire, aux accents de la symphonie spatiale d’un John Williams plus inspiré que jamais. « John Williams a la réputation d’être un homme d’une grande gentillesse », nous confie Rian Johnson. « Il l’est encore dix fois plus que ce que vous pouvez imaginer. Nous avons eu quelques désaccords, notamment par rapport à l’émotion que je souhaitais exprimer dans certaines séquences. Mais la plupart du temps, je me contentais d’écouter ses propositions, toutes plus belles les unes que les autres. » (1) Avec l’apport du directeur artistique Rick Heinrichs, Rian Johnson brosse des tableaux rivalisant de beauté plastique, notamment la cour écarlate de Snoke flanqué de ses gardes samouraïs, l’époustouflante bataille finale sur une planète recouverte d’une pellicule de sel immaculé qui, lorsqu’on le heurte, révèle une couche de terre rouge (la planète semble saigner, au cœur d’une échauffourée basculant quasiment dans le surréalisme), ou encore cette séquence à couper le souffle dans laquelle l’emploi de l’hyper-vitesse provoque une réaction en chaine incroyable. 

Un vent de fraîcheur inattendu

Certes, tout n’est pas parfait dans Les Derniers Jedi. Nous nous serions par exemple passés de cette énième imitation de la Cantina sise dans une planète luxueuse où les nantis dépensent des fortunes dans les casinos locaux. La laideur des décors et des créatures est en partie assumée – puisqu’il est question ici de vulgarité – mais le résultat ne convainc guère, d’autant que l’intrigue ralentit et patine un peu à ce stade du récit. Ce passage anecdotique présente tout de même l’intérêt de soulever une thématique jamais abordée jusqu’alors dans la saga : l’activité des marchands d’armes à qui profite la guerre puisqu’ils fournissent aussi bien les Rebelles que l’Empire. Soucieux de capturer l’essence des Star Wars de la première heure, Johnson sollicite l’expertise du superviseur des effets visuels Dennis Muren, vétéran de la saga. « Il m’a donné de précieux conseils pour faire ressentir aux spectateurs la vitesse des flottes de vaisseaux spatiaux, ce qui n’est pas si simple », explique-t-il. « Avec un fond spatial, vous n’avez pas de repère pour appréhender la vitesse des déplacements ». (2) Face à la flamboyance de la mise en scène de Rian Johnson, à la force nouvellement acquise des ses personnages, à la redoutable efficacité de ses moments de suspense et à l’originalité de son approche, nous nous laissons allègrement séduire et transporter par Les Derniers Jedi. Tant pis pour les esprits chagrins sans doute trop bridés par leur allégeance aux épisodes précédents pour accepter ce vent de fraîcheur.

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2017

 

© Gilles Penso

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