LA MAIN DU DIABLE (1943)

Un peintre sans le sou accepte d’acheter un talisman magique qui lui donnera fortune et gloire… Mais c’est un cadeau empoisonné

LA MAIN DU DIABLE

 

1943 – FRANCE

 

Réalisé par Maurice Tourneur

 

Avec Pierre Fresnay, Josseline Gaël, Noël Roquevert, Guillaume de Sax, Pierre Palau, Pierre Larquey, André Gabriello, Antoine Balpêtré, Marcelle Rexiane

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I MAINS VIVANTES

Pour son quatre-vingt-quatorzième film (!), le vétéran Maurice Tourneur se lance dans une adaptation de la nouvelle « La Main enchantée » de Gérard de Nerval, publiée pour la première fois en 1832. Sur un scénario de Jean-Paul le Chanois, La Main du diable modernise le texte original pour le situer dans le Paris contemporain. Le cheveu défait, le regard perdu, la voix traînante, Pierre Fresnay (qui fut dix ans plus tôt le Marius de Marcel Pagnol) incarne Roland Brissot, un peintre bohème plein d’idées mais dont les toiles prennent la poussière dans son atelier au lieu de s’exhiber dans les galeries de Paris. Éconduit par Irène (Josseline Gaël), la jeune femme dont il s’est épris, notre artiste sans succès accepte le marché étrange que lui propose un restaurateur : lui racheter un talisman qui porte chance contre la somme modique d’un sou. La tentation est trop grande, Roland accepte. Le talisman en question est étrange, pour ne pas dire inquiétant, puisqu’il s’agit d’une main coupée qui gît dans un coffret et qui semble animée d’une vie propre. Mais qu’importe, puisque ses effets sont quasiment immédiats.

Roland est en effet soudain pris d’inspiration, même si ses œuvres semblent désormais peintes sous la dictée d’une influence extérieure. Ses nouvelles toiles, qu’il signe désormais Maximus Leo, s’arrachent enfin dans le Paris chic et Irène revient se blottir dans ses bras. La main magique dans le coffret semble donc tenir toutes ses promesses. Il y a tout de même une ombre au tableau : un petit homme mystérieux (Pierre Palau) qui semble suivre Roland un peu partout, l’air débonnaire sous son chapeau melon noir. Le peintre ne va pas tarder à comprendre que ce personnage à priori insignifiant n’est rien d’autre que le diable venu réclamer son dû. S’il rend le talisman, Roland pourra sauver son âme mais il perdra la fortune et la gloire, retombant dans l’anonymat et la pauvreté. Mais s’il veut le garder, sa dette n’en finira plus de grandir : il devra rembourser un sou un jour, deux sous le lendemain, trois sous le jour d’après, et ainsi de suite jusqu’à l’infini. « Savez-vous ce que c’est que l’infini ? » demande notre petit diable au peintre. « Moi oui, j’y ai été, c’est très joli ! ». Ainsi commence une lente et inexorable descente aux enfers, orchestrée par un tentateur qui porte bien son surnom de « malin ».

Le repas des damnés

Préférant largement la suggestion à la démonstration, Maurice Tourneur n’utilise guère d’effets spéciaux pour porter à l’écran les manifestations surnaturelles, s’appuyant sur la prestation toute en duplicité de Pierre Palau et sur les jeux du hors champ et du non-dit, comme lorsque la chiromancienne s’épouvante sans un mot en lisant les lignes de la main de Brissot. Le cinéaste se permet tout de même quelques facéties visuelles, comme une brève séquence en dessin animé qui permet de calculer la dette que Pierre a contractée et qu’il s’avère incapable de rembourser. Et puis survient cette scène superbement surréaliste où notre malheureux damné se retrouve à la table de convives masqués, éclairés par une lueur irréelle. Cet « ultime souper » enchaîne les flash-backs aux décors dépouillés et symboliques permettant de remonter le fil historique des précédents possesseurs du talisman, tous maillons d’une même chaîne actionnée par le diable. Ombres surdimensionnées, décors immenses et tordus, tableaux étranges, on se croirait presque revenu au temps de l’expressionnisme allemand. Il faut reconnaître là la patte esthétique d’un réalisateur qui fit ses débuts comme graphistes et illustrateur, avant d’assister rien moins qu’Auguste Rodin, puis de se spécialiser dans la mise en scène théâtrale avant de tourner son premier film en 1914. La Main du diable est l’un de ses derniers longs-métrages. Il passera le flambeau à son fils Jacques, dont les films fantastiques poétiques et raffinés entreront à leur tour dans la légende.

 

© Gilles Penso



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