LA NUIT DE LA MORT (1980)

Nouvellement employée dans une maison de retraite, une jeune femme s’inquiète du comportement étrange des pensionnaires…

LA NUIT DE LA MORT

 

1980 – FRANCE

 

Réalisé par Raphaël Delpard

 

Avec Isabelle Goguey, Charlotte de Turckheim, Michel Flavius, Betty Beckers, Jean Ludow, Jeannette Batti, Michel Debrane, Germaine Delbat, Georges Lucas

 

THEMA CANNIBALES

Comédien occasionnel depuis la fin des années soixante et scénariste pour Jean-Pierre Mocky (L’Albatros, Chut !) Raphaël Delpard passe à la mise en scène avec le drame érotique Perversions (1976), la comédie Ça va pas la tête (1978) et la polissonnerie Lycéennes perverses (1979). Mais sa vraie passion est le cinéma fantastique, auquel il pourra s’adonner pleinement à l’occasion de son quatrième long-métrage, le bien nommé La Nuit de la mort, qui sera rebaptisé Les Griffes de la mort lors de sa sortie en VHS en 1988 (avec une jaquette merveilleusement hors-sujet, comme souvent à l’époque) avant de récupérer son titre initial. L’héroïne de La Nuit de la mort est Martine (Isabelle Goguey), qui décide de prendre un poste d’infirmière-gouvernante dans une maison de retraite après avoir quitté son petit-ami Serge (Michel Duchezeau). Dans la vaste demeure isolée qui sera son nouveau lieu de travail, la jeune fille rencontre un gardien boiteux patibulaire (Michel Flavius), une directrice autoritaire et pompeuse (Betty Beckers) et des pensionnaires au comportement bizarre. Dans cet environnement austère, seule sa collègue Nicole, malgré une première rencontre un peu orageuse, s’avère affable et à peu près « normale ». On notera que cette dernière est incarnée par la comédienne et humoriste Charlotte de Turkheim, que le grand public ne connaissait pas encore, et qui s’empressa plus tard de rayer de son CV ce film « gênant » !

Que se passe-t-il la nuit dans les couloirs plongés dans l’ombre de cette vénérable maison de retraite ? Martine n’en sait rien, mais elle se doute bien que quelque chose ne tourne pas rond. La directrice, qui joue toujours le même morceau obsédant au piano et aime dîner face à un miroir sous le regard de ses employés, cache visiblement un lourd secret. Lorsque sa collègue Nicole disparaît du jour au lendemain sans laisser de trace, Martine décide de mener l’enquête. Mais le scénario prend garde de donner aux spectateurs un coup d’avance sur son personnage principal en lui révélant très tôt la nature des activités nocturnes de cet établissement pas très catholique. Cette révélation survient au cours d’une scène extrême qui permet de comprendre pourquoi Charlotte de Turkheim ne parle plus trop de La Nuit de la mort quand elle évoque sa carrière. Car Nicole y est agressée par les pensionnaires mués soudain en horde sauvage, se retrouve nue comme un ver, trépasse d’un coup de hachoir bien placé et est éventrée en gros plan avant que des mains avides ne plongent dans ses entrailles pour se repaître de ses viscères ! Frontalement, sans fard, Raphaël Delpard aborde ainsi le cannibalisme dans toute son horreur graphique, ponctuant son film de visions choc surprenantes : organes dévorés à belles dents, meurtres violents, mutilations sanglantes, cadavre écharpé suspendu à un croc de boucher… A la clé de ces débordements anthropophages se trouve rien moins que la quête de la vie éternelle…

La sarabande des cannibales

Ainsi, si la tonalité du film semble être celle d’une comédie légère un tantinet maladroite, son arrière-plan est glauque, sinistre et effrayant. La musique de Laurent Petitgirard contribue grandement à l’installation d’une atmosphère oppressante, à grands coups de violons stridents, de pianos graves et de voix sépulcrales. Raphaël Delpard fait fi des faibles moyens à sa disposition pour saisir furtivement la photogénie lugubre des cauchemars, comme lors de la rituelle sarabande nocturne des pensionnaires qui sortent l’un après l’autre de leur chambre en marchant lentement comme des somnambules. Le film convoque aussi l’imagerie des contes de fées, la jeune héroïne en blanc semblant menacée par des êtres mi-sorcières mi-ogres dans cette grande maison au milieu des bois. Clôt sur une chute d’une cruelle ironie, La Nuit de la mort n’est donc pas le nanar qu’on a souvent cru mais un film déroutant, à contrecourant de la production hexagonale de l’époque, mêlant les genres pour mieux perturber ses spectateurs. Sans doute la mise en scène eut-elle gagné à être plus stylisée, le jeu d’acteur moins approximatif, les dialogues moins récités, mais l’initiative reste intéressante et surtout audacieuse au sein d’un paysage cinématographique français alors rétif aux échappées horrifiques.

 

© Gilles Penso



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