LE VOYAGE DANS LA LUNE (1902)

Le premier film de science-fiction de l’histoire du cinéma est une féerie délirante de Georges Méliès acclamée dès sa sortie dans le monde entier

LE VOYAGE DANS LA LUNE

 

1902 – FRANCE

 

Réalisé par Georges Méliès

 

Avec Georges Méliès, Victor André, Depierre, Farjaux, Kelm, Brunet, Bleuette Bernon, Henri Delannoy

 

THEMA SPACE OPERA I EXTRA-TERRESTRES

Homme de théâtre, comédien, metteur en scène, prestidigitateur, Georges Méliès découvre l’incroyable potentiel de l’invention de Louis et Auguste Lumière en assistant à une projection cinématographique au milieu des années 1890. Face à ces étonnantes images animées, cet artiste complet voit là un formidable moyen de prolonger ses spectacles de magie. En transposant les machineries du théâtre sur le grand écran, Méliès se lance aussitôt dans la création de tout un univers féerique et fantasmagorique, loin de la simple captation « documentaire » proposée par les frères Lumière. Il invente ainsi le cinéma fantastique et les effets spéciaux. Au fil de sa foisonnante production, financée par sa propre compagnie Star Film, Méliès fait office de pionnier et réalise notamment ce qui est aujourd’hui considéré comme le premier film de science-fiction de l’histoire du cinéma : Le Voyage dans la Lune. Inspiré à la fois par Jules Verne et Herbert George Wells (rien moins que les deux plus grands auteurs de SF de la planète), ce film de quatorze minutes en trente tableaux appréhende la conquête spatiale comme Méliès lui-même envisage le cinéma : sous forme d’un gigantesque tour de magie. La forme et le fond finissent du coup par fusionner, les scientifiques affublés de chapeaux pointus ressemblant plus à des alchimistes ou à des mages qu’à de respectables savants, et le grand Georges tenant comme toujours la vedette de son propre film.

Le film commence en plein congrès du Club des Astronomes, où l’excentrique professeur Barbenfouillis annonce à l’auditoire son projet de lancer une expédition vers la Lune. Face aux réactions perplexes, il organise une visite de ses confrères dans son atelier loufoque où se fabrique un grand obus spatial, lequel sera projeté dans le cosmos au moyen d’un gigantesque canon de 300 mètres de long. Le récit s’amorce donc comme une version burlesque de « De la Terre à la Lune » de Jules Verne. Après le lancement réussi de leur fusée-obus, les six astronautes découvrent l’environnement lunaire – où ils respirent sans difficulté et sans le secours du moindre équipement – et assistent à un lever de Terre, spectacle inédit s’il en est. En s’engouffrant dans un cratère lunaire, nos savants se retrouvent à l’intérieur d’une grotte où poussent des champignons géants. Là, le récit bifurque vers « Les Premiers hommes dans la Lune » de Wells, d’autant que surgit bientôt un Sélénite, habitant insectoïde et peu hospitalier de notre satellite naturel. Respectant l’illogisme poétique des œuvres de Méliès, la créature est pulvérisée par les terriens d’un coup de parapluie. Mais d’autres de ses semblables font leur apparition et capturent les visiteurs pour les présenter à leur roi…

Les pionniers de l’espace

Mêlant le space opera fantaisiste au comique burlesque, Le Voyage dans la Lune multiplie les trouvailles techniques et visuelles en collectant des moments d’anthologie : le lever de Terre, l’attaque des hommes-insectes, le canon qui propulse la fusée et, bien sûr, la célébrissime fusée dans l’œil de la Lune, obtenue avec un acteur maquillé et un de ces fameux « trucs par substitution » que Méliès découvrit un jour par hasard. Prompt à mélanger toutes les techniques et à combiner des talents complémentaires, le cinéaste sollicite les danseuses du théâtre du Châtelet pour incarner les étoiles et les acrobates des Folies Bergères pour entrer dans la peau des gesticulants Sélénites. Quant aux nombreux décors édifiés dans le studio montreuillois de Méliès, ils mêlent les accessoires grandeur nature, les fonds peints, les maquettes et toute une série de systèmes mécaniques, de trappes et de fumigènes. Le film jette ainsi les bases de toutes les futures techniques d’effets spéciaux destinées à jouer un rôle majeur dans les décennies à venir. Lorsque les héros du Voyage dans la Lune rentrent triomphants de leur aventure et se voient honorés par une statue commémorative portant l’inscription latine « Labor omnia vincit » (« Un travail acharné vient à bout de tout »), un parallèle s’établit inévitablement entre nos aventuriers fictifs et l’équipe du tournage de cette œuvre pionnière. D’autant que le film connaîtra un énorme succès lors de sa sortie en septembre 1902. Rançon de la gloire, Le Voyage dans la Lune sera piraté dans le monde entier, la notion de droits intellectuels étant encore floue en ces temps héroïques. Paradoxalement, la création de ces nombreuses copies non autorisées aura permis de préserver un film dont nous aurions sans doute perdu toute trace aujourd’hui.

 

© Gilles Penso



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