LES YEUX DE L’ENFER (1961)

Un film d’horreur unique en son genre, à mi-chemin entre l’expressionnisme et le surréalisme, garni d’hallucinantes séquences de cauchemars en relief

THE MASK

 

1961 – CANADA

 

Réalisé par Julian Roffman

 

Avec Paul Stevens, Claudette Nevins, Bill Walker, Anne Collings, Martin Lavut, Leo Leyden

 

THEMA RÊVES I SORCELLERIE ET MAGIE

Les Yeux de l’enfer n’est vraiment pas un film comme les autres. De par sa nationalité et sa nature, il cumule déjà les « premières ». Officiellement, il s’agit du premier film canadien se rattachant au genre horrifique, utilisant le procédé stéréoscopique et ayant bénéficié d’une large distribution aux États-Unis. Son réalisateur Julian Roffman réalise là son second long-métrage, après le thriller The Bloody Brood. Il cessera ses activités de metteur en scène par la suite pour se concentrer sur l’écriture et la production. Dès l’entame, le film nous surprend en prenant les allures d’une sorte de documentaire ethnologique. Dans son propre rôle, l’agent et publiciste Jim Moran s’adresse directement à la caméra sur un ton docte et strict. De retour d’un voyage autour du monde, il nous présente un masque antique d’origine latino-américaine aux propriétés mystérieuses : une tête de mort articulée entièrement recouverte de pierres écailleuses. Il en profite pour expliquer le « mode d’emploi » du film : chaque fois que le personnage principal portera ce masque, les spectateurs seront invités à faire la même chose, autrement dit chausser leurs lunettes 3D (des « Magic Mystic Masks » spécialement customisés et distribués à l’époque dans les salles de cinéma) pour partager ses visions en relief. Nous voilà parfaitement conditionnés, comme dans un de ces nombreux « films-gimmicks » de William Castle (La Nuit de tous les mystères, Le Désosseur de cadavres). Le spectacle peut donc commencer.

Après ce prologue relativement statique, le film commence sur des chapeaux de roue. Dans une forêt nocturne, une jeune femme (Nancy Island) hurle en prenant ses jambes à son cou, prise en chasse par un homme au teint blafard et au regard fou (Martin Lavut). Celui-ci la rattrape, l’empoigne par le cou et l’assassine, la victime ayant tout juste le temps de griffer profondément son visage. Échevelé, le meurtrier se précipite dans le cabinet de son psychiatre Allan Barnes (Paul Stevens) et lui explique qu’il vit sous l’emprise d’un masque maléfique qu’il a ramené d’une expédition archéologique. Barnes est persuadé que les troubles de son patient ont des origines névrotiques et non diaboliques. Hors de lui, le jeune homme quitte les lieux, expédie par courrier le fameux masque à son psychiatre puis se donne la mort. Barnes hérite donc malgré lui de cet artefact grimaçant qu’il s’apprête à confier à la police. Mais un élan de curiosité le pousse à mettre le masque sur son visage. Les visions démoniaques qui se révèlent soudain provoquent chez lui une réaction violente. Mi fasciné mi terrifié, il change progressivement de personnalité et bascule dans une sorte de folie destructrice…

Le masque du démon

Sous influence manifeste du cinéma expressionniste allemand et des films noirs américains, le film est tourné dans un noir et blanc très contrasté privilégiant les ombres portées, les zones sombres plongeant une partie des visages dans les ténèbres et les gros plans inquiétants accentués par l’usage de courtes focales. Le montage est stylisé, optant pour des changements d’axe parfois déstabilisants en cours d’action ou pour des ellipses inattendues permettant de faire courir un dialogue d’une scène à l’autre. Bref la mise en forme est soignée, soulignée par une bande originale oppressante de Louis Appelbaum (Les Forçats de la gloire, Le Guêpier). Lorsqu’intervient la première séquence hallucinatoire au bout d’une demi-heure, le film bascule littéralement dans une autre dimension. Après l’expressionnisme, Les Yeux de l’enfer plonge dans le surréalisme, un peu comme si Jean Cocteau fusionnait soudain avec Mario Bava. Dans des décors abstraits, brumeux et incandescents, d’étranges rituels se déroulent sous nos yeux hébétés. Des silhouettes encapuchonnées, des phénomènes surnaturels, des visages défigurés, des morts-vivants, des mains privées de corps, des yeux flottants, des serpents menaçants s’enchaînent en une infernale sarabande qui convoque l’imagerie des enfers mythologiques, notamment lorsqu’un cercueil conduit par un nocher macabre traverse ce qui ressemble au Styx. Quant au fameux masque, il est omniprésent, atteignant parfois des proportions titanesques et crachant des gerbes de feu. Ces séquences démentielles ponctuent dès lors régulièrement le métrage et provoquent un fascinant phénomènes d’identification, dans la mesure où les spectateurs sont comme le protagoniste du film : ils veulent mettre le masque et se plonger chaque fois que possible dans ces visions fantasmagoriques. L’addiction de Barnes devient la nôtre, le relief accentuant bien sûr ce sentiment d’immersion. Ayant acquis au fil des ans un statut d’œuvre culte, Les Yeux de l’enfer a bénéficié en 2015 d’une très belle remasterisation orchestrée par la 3-D Film Archive et Technicolor Toronto.

 

© Gilles Penso

 

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