BLACK WIDOW (2021)

Sacrifiée dans Avengers Endgame, la Veuve Noire de Marvel revient faire un tour de piste le temps d’une prequel centrée sur son passé…

BLACK WIDOW

 

2021 – USA

 

Réalisé par Cate Shortland

 

Avec Scarlett Johansson, Florence Pugh, David Harbour, Rachel Weisz, O.T. Fagbenle, William Hurt, Ray Winstone, Olivier Richters

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL I AVENGERS

Il fut longtemps question d’un long-métrage entièrement consacré à la pugnace Natasha Romanoff. Mais depuis son apparition sous les traits de Scarlett Johansson dans Iron Man 2, la Veuve Noire créée par Stan Lee s’est contentée de jouer les seconds rôles au sein des aventures collégiales des Avengers, laissant souvent la vedette à ses partenaires masculins. Il semblait légitime que l’espionne russe reconvertie en super-héroïne ait enfin droit à son propre film. Seulement voilà : Black Widow a-t-il été mis en chantier pour les bonnes raisons ? Après son décès spectaculaire dans Avengers Endgame, la fière combattante donnait le sentiment d’avoir fait son temps et de s’être inscrite dans tous les arcs narratifs susceptibles de la concerner. Alors pourquoi une prequel si tardive ? Manifestement, la réponse est liée à des raisons beaucoup moins scénaristiques que politiques. Si Black Widow existe, ce n’est pas tant pour enrichir narrativement le Marvel Cinematic Universe que pour sacrifier à la mode idéologique du moment qui, sous prétexte de lutter contre les discriminations, favorise un communautarisme excessif où chaque groupe se cloisonne et s’isole des autres. De fait, lorsqu’est née l’idée de Black Widow, Disney n’a pas cherché à se rapprocher d’un metteur en scène susceptible d’apposer une vision et un univers adaptés au scénario, mais s’est simplement mis en quête d’une réalisatrice – entendez une femme – peu importe laquelle ! Près de 70 candidates ont été interviewées pour le poste, preuve que le studio avançait à l’aveuglette, s’intéressant plus au sexe de son metteur en scène qu’à sa personnalité.

C’est donc la cinéaste australienne indépendante Cate Shortland qui hérite de la réalisation du film. Spécialisée dans les drames intimistes (Le Saut périlleux, Lore, Berlin Syndrome), on la sent fatalement comme un poisson hors de l’eau à la tête d’une telle production. Il lui semble surtout impossible d’imprégner le film de sa propre sensibilité, tant le scénario coche avec minutie les cases de son cahier des charges. Commercialement, Black Widow est conçu pour relancer la franchise Marvel en laissant éclore un nouveau personnage susceptible de succéder à Natasha Romanoff dans d’éventuelles séquelles (sa jeune sœur Yelena Belova incarnée par Florence Pugh). Pourquoi pas ? Après tout, il faudra bien combler le vide laissé par la mort de la Veuve Noire. Éthiquement, c’est plus compliqué. Sous couvert de pamphlet contre le sexisme, Black Widow opte pour la caricature sans jamais chercher la nuance (dans la même mouvance que le navrant Charlie’s Angels d’Elizabeth Banks). Tous les personnages féminins du film sont donc des combattantes émérites victimes de l’oppression que leur font subir les hommes. Les figures masculines, de leur côté, se divisent en quatre catégories : les super-vilains odieux (le général Dreykov), les montagnes de muscles stupides (Alexei Shostakov et tous ses compagnons de prison), les faire-valoir insipides (Rick Mason) ou les militaires hostiles (Thaddeus Ross et ses soldats). Quant à l’intrigue, elle raconte avec la finesse d’un marteau piqueur l’émancipation de la femme hors du joug du mâle dominateur qui se protège derrière ses phéromones (au sens propre) ! 

Être une femme libérée, c’est pas si facile !

Le pire, dans cette affaire, c’est que les dirigeants de Marvel se soucient probablement de la cause féministe comme de leur première liquette. Mais c’est dans l’air du temps, ça donne bonne figure et ça redore le blason d’un grand studio désireux de véhiculer une image progressiste aux yeux de l’opinion publique. Black Widow se complaît tant dans cet opportunisme qu’il en oublie de construire une intrigue digne de ce nom. Les scènes s’accumulent sans la moindre progression dramatique, les séquences d’action se parent de cascades certes audacieuses mais gâchées par une mise en scène dénuée de point de vue (ces plans très larges en plongée qui s’insèrent n’importe comment dans le montage pour tenter de le dynamiser), la quête de l’émotion facile fait long feu (une blague ici, une larme là) et la musique assommante de Lorne Balfe (qui recycle la cacophonie de Mission Impossible Fallout) parachève le massacre. La phase IV du Marvel Cinematic Universe démarre donc sans grand panache. C’est d’autant plus dommage que nous étions tout disposés à soutenir une super-héroïne féministe digne de ce nom. Mais en ce domaine, la Wonder Woman de Charles Moulton semble décidément indétrônable.

 

© Gilles Penso


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