TETSUO (1989)

Un film expérimental et inclassable dans lequel un individu se métamorphose progressivement en « homme-métal »…

TETSUO

 

1989 – JAPON

 

Réalisé par Shinya Tsukamoto

 

Avec Tomorowo Taguchi, Kei Fujiwara, Nobu Kanaoka, Renji Ishibashi, Shinya Tsukamoto, Naomasa Musaka

 

THEMA MUTATIONS

Shinya Tsukamoto a de la suite dans les idées. Pendant ses études, il écrit et met en scène des pièces de théâtre expérimentales dans lesquelles le corps de ses héros se recouvre de pièces métalliques. Plus tard, il se lance dans des courts-métrages en 8 mm reprenant les mêmes thématiques (notamment Futsû saizu no kaijin et Les Aventures de Denchu Kozo). Il décide logiquement de creuser le même sillon à l’occasion de son premier long-métrage, qu’il réalise dans des conditions extrêmement modestes, avec un budget et une équipe technique réduits à leur plus simple expression. Abordant pour la première fois le format 16 mm, il finance Testuo avec ses propres deniers et tourne pendant près de deux ans. Deux des rôles principaux sont tenus par lui-même et Kei Fujiwara, qui s’occupe avec lui des prises de vues et prête son appartement pour une grande partie des séquences du film. Le reste des décors est principalement constitué de décharges publiques où le réalisateur puise la grande majorité de ses accessoires. Testuo se tourne dans des conditions si difficiles que les membres de l’équipes jettent l’éponge les uns après les autres, Tsukamoto se retrouvant quasiment seul avec son acteur Tomorowo Taguchi pour finir le film. L’expérience est douloureuse, à tel point que le réalisateur pense abandonner plus d’une fois. Mais il tient bon, et l’avenir lui donnera raison : Testuo est devenu une œuvre culte sur les cinq continents.

Dans le recoin sinistre d’une ruelle glauque où s’entremêlent des tuyaux, des câbles et de la ferraille, un homme s’isole, fébrile, s’entaille profondément la cuisse et y insère une grande tige filetée. Puis il bande sa plaie, souffre, transpire abondamment. Lorsqu’il découvre que sa blessure est infestée de vers grouillants, il panique, s’enfuit en hurlant et est violemment heurté par une voiture, tandis que résonne soudain une ritournelle enjouée au saxophone. Il ne faut pas plus de cinq minutes pour que Shinya Tsukamoto nous annonce la couleur : Testuo sera inconfortable, insaisissable et imprévisible. Nous changeons alors de protagonistes pour nous intéresser à celui qui – nous l’apprendrons plus tard – était au volant de la voiture au moment de l’accident. En se rasant le matin, il constate qu’un morceau de métal sort de sa joue. En essayant de l’extirper, il provoque une belle gerbe de sang. Poursuivi dans le métro par une femme dont le corps est envahi par le métal, il subit bientôt lui-même une terrible métamorphose…

Métal hurlant

Interrogé sur ses sources d’inspiration, Tsukamoto cite Federico Fellini, David Cronenberg et David Lynch. Si le caractère onirique des films du réalisateur de Huit et demi vient effectivement à l’esprit, on pense surtout aux expérimentations achromes d’Eraserhead et au concept de la « nouvelle chair » de Videodrome, où fusionnaient déjà l’homme et le métal. Pour autant, Testuo ne ressemble à rien de connu. Inscrit résolument dans la mouvance cyberpunk, porté par une musique industrielle, filmé dans un noir et blanc rugueux, cadré souvent par une caméra portée accidentée, le film est sans cesse déstabilisant. La pauvreté des moyens mis à la disposition du réalisateur finit par stimuler son inventivité, prompt à déployer toutes les techniques à sa disposition (montage nerveux, accélérés, hyperlapses, stop-motion, pixillation, mixage de 16 mm et de vidéo) pour renforcer le caractère expérimental de son premier long-métrage. Chacun sera libre de lire entre les lignes de ce récit chaotique les métaphores qu’il voudra (la déshumanisation de la société, la dépendance aux machines, l’addiction, la culpabilité, les déviances, le fétichisme), mais Testuo est une expérience bien plus viscérale qu’intellectuelle, ponctuée d’imageries biomécaniques démentielles où vient se nicher un étrange sens de l’humour (le pénis foreuse !) et un anarchisme insolent qui s’expose ouvertement au moment du dénouement. Chouchou des festivals du monde entier, Tetsuo fait connaître son instigateur aux amateurs d’un cinéma « autre » et sera suivi par deux séquelles : Tetsuo 2 en 1992 et Tetsuo : the Bullet Man en 2009.

 

© Gilles Penso


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