UNE NOUVELLE PIÈCE CONSACRÉE À DRACULA

Serge Schiro nous propose une audacieuse adaptation théâtrale du célèbre mythe où s'entremêlent l'épouvante, le romantisme et la comédie…

PUBLIÉ LE 13 JUIN 2021

Illustration Ludovic Minet

Comment est venue l’idée d’une pièce consacrée à Dracula ?

L’idée date de pas mal de temps déjà ! En 1985, au lycée, j’avais une prof d’anglais qui nous faisait travailler en écrivant et jouant des petits sketchs. Ayant toujours été un fervent amateur des Mythes Fantastiques, je me suis alors lancé dans l’écriture d’une adaptation parodique de Dracula, en anglais. C’était beaucoup plus qu’un sketch et ça s’est transformé en une pièce de théâtre qui durait presque 1h15. Puis le temps a passé, et j’ai lu et relu le roman de Bram Stoker. J’ai aussi vu une multitude d’adaptations cinématographiques. Des très bonnes et des moins bonnes… J’y ai retenu avant tout l’histoire d’amour d’un homme « éternel », épuisé et désabusé, qui, toute sa (longue) vie durant, va rechercher celle qu’il a jadis aimé, et qui lui a été enlevée alors qu’il éprouvait pour elle une passion sans limite. Un amour inégalé et profond… Puis est venue l’idée de réécrire cette pièce dans la langue de Molière, dans le but de toucher plus de lecteurs, et de me rapprocher au mieux du roman. De la « secouer » pour la « reconstruire ». De faire de Dracula, « mon » Dracula. Un héros qui reste touchant et romantique, et pour qui, à l’évidence, la vie éternelle n’est peut-être pas si envieuse qu’on puisse le penser ! J’ai en fait tout simplement écrit l’histoire que j’avais envie de voir, ce n’est pas plus compliqué que ça !

 

Dracula a déjà fait l’objet de tant d’adaptations, notamment au cinéma, qu’il ne devait pas être simple d’avoir une approche originale et nouvelle. Comment as-tu abordé ce problème ?

Oui en effet, Dracula a fait l’objet de nombreuses adaptations cinématographiques, mais, à ma connaissance, pas tant que ça d’adaptations théâtrales. Et si j’en ai fait cette appropriation, c’est parce que je trouve que le fantastique au théâtre est peu montré, peu représenté, peu mis en valeur (du moins, dans l’hexagone ?), mon rêve étant de voir mes « héros de l’ombre » sur une scène (Je travaille actuellement sur une version très libre de Frankenstein, qui se déroule pendant la guerre de 1939/1945, où Frank n’est autre que le fils « fabriqué » d’Albert Einstein…mais là, je dérive, je n’en dirai pas plus pour le moment !!!…). Oui, en fait, c’est ce manque, cette frustration qui m’ont poussé à me dire « mais moi, je veux voir Dracula sur les planches ! ». Et je me suis lancé. Je n’ai pas vraiment cherché à en avoir une approche forcément « originale ». Il est vrai que la nouveauté, selon moi, vient de la narration, la pièce étant dévoilée par l’intermédiaire de Lucy, qui, à force de lire les pages du journal qu’écrit son père, commence à connaître ces évènements passés, mieux que ses parents ! Et je n’ai surtout pas voulu « moderniser » la pièce, et au contraire conserver ce côté « gothique et antique », « vintage ! », propre à cette époque, où les voyages sont longs, les mots mettent un temps fou à arriver, contrairement à notre époque où tout se fait parfois beaucoup trop vite, où l’on est bombardé d’infos de toutes sortes, de tous les côtés… Moi j’aime les balades en calèches, la traversée des mers en bateau, les locomotives à vapeur qui traversent des montagnes escarpées, à flanc de falaise… Tout ça prend du temps, et ce temps s’imprègne dans nos cellules, et nous pousse forcément à la réflexion, à la patience, à l’attente… Rien ne peut se faire dans la précipitation. On n’agit pas pour les autres, on agit pour soi ! J’ai envie de dire que la nouveauté de mon approche réside dans le fait de conserver ce côté « vintage » de Dracula ! (C’est une réponse de normand, non ?). Le roman est en lui-même extrêmement novateur ! Et je ne cherche en rien à défier Bram Stoker ! Je me sens juste comme son « médium », c’est son âme qui a poussé ma plume à écrire… Je qualifierai cela d’écriture automatique !

Illustration Ludovic Minet

Pourquoi avoir choisi d’envoyer Mina à la place de Jonathan, et de transformer Lucy en narratrice ?

Dans ma narration, Dracula et Mina sont intimement liés par un amour qui, je pense, les dépasse tous les deux. Lui, le comte, parce que Mina est la réincarnation parfaite de celle qu’il a jadis aimé éperdument, et perdue, malgré sa force et sa distinction. Malgré son pouvoir et sa détermination. Ce qui l’a rendu profondément mélancolique (et donc humain, j’ai envie de dire !) Et elle, Mina, parce qu’elle est sous le joug du comte. Elle l’aime, mais d’un amour imposé, un amour improbable, au-delà du réel. Le fait de l’envoyer dans les Carpates, « dans la gueule du loup », permet de créer un lien très fort entre elle et le comte. Et de les isoler des autres (donc de Jonathan). La modernité peut venir en effet du personnage féminin, qui justement est mis en avant par rapport au roman où les rôles masculins me paraissent dominants… Ici, c’est la femme qui prend le pouvoir, alors qu’à cette époque, ce devait être tout le contraire. Elle voyage seule, elle rencontre le comte seule. Elle est émancipée, et en même temps, si elle y va, c’est avant tout pour une bonne cause : sauver l’entreprise familiale de la faillite… Jonathan ne pouvant se rendre auprès du comte, son père étant malade. C’est donc Mina qui s’y colle ! Mais derrière tout ça, il y a l’emprise du comte, qui peut manipuler les personnes à distance, en un rien de temps ! Et c’est contradictoire avec ce que je viens d’évoquer, à savoir la lenteur des transports, des courriers inhérents à cette époque… ! Oui, à cette période, tout est lent, mais c’est sans compter le pouvoir infini, au-delà des frontières, de Dracula ! J’ai envie de dire : Dracula, c’est internet avant l’heure ! Mina est obligée de se rendre au château du comte pour deux raisons en fait :  la transaction immobilière sans laquelle l’avenir matériel et financier de sa famille s’effondre, et l’attraction terrible qu’exerce sur elle le comte à son insu… Il y a peut-être aussi là-dedans, un côté féministe avant l’heure ! Mon côté féminin qui parle à travers les héroïnes de cette adaptation ! Quant à Lucy, contrairement au roman, j’en ai fait la fille de Jonathan et Mina, conçue à la mort de Van Helsing. Elle est très jeune, innocente et sa curiosité enfantine la pousse à vouloir savoir tout de ce qu’il s’est passé là-bas, dans les Carpates… Selon moi, il était nécessaire de rester dans un « cocon familial », c’est pourquoi j’ai fait de Lucy, avant tout, la fille de Jonathan et Mina. Pour resserrer les liens entre eux, et pour avoir une approche « enfantine » et « innocente » de l’histoire. Seule une fillette de 7 ans peut avoir cette curiosité d’esprit, cet imaginaire par rapport aux évènements vécus par ses parents. Et puis il s’agit de changer la donne : habituellement, ce sont les parents qui lisent des histoires aux enfants pour les endormir… Ici, c’est Lucy, la fillette, qui dévoile l’histoire vécue par ses parents, avec justement ce côté « objectif » comme si ces derniers avaient été étrangers à tout ça. Elle décrit une réalité qu’elle n’a pas réellement connue, donc sans préjugés, sans intérêts. Et c’est ce type de narration qui va faire vivre l’histoire. Et c’est là mon intérêt ! Une histoire qui ici n’a pas lieu d’endormir les spectateurs, mais au contraire, de les tenir bel et bien éveillés !

 

Peux-tu nous parler des nouveaux personnages que tu as créés ?

Les deux principaux nouveaux personnages sont les « Bophreys », deux frères Siamois accrochés par le dos et les fesses, au service du comte Dracula, et qui tous deux ne s’entendent, mais alors, pas du tout ! Ce qui est difficile au vu de leur situation ! J’ai voulu ces personnages, pour leur étrangeté, pour apporter un côté encore plus mystérieux et surréaliste à la pièce, plus « baroque », bizarre, inattendu… et aussi pour la dose d’humour qu’ils amènent à la pièce, justement due au décalage qu’ils créent, en cassant quelque peu le côté « tragique et dramatique » du roman original. Il y a un peu de la « famille Addams » là-dedans ! Les Bophreys, ce sont la « soupape » de la cocote minute ! Ce sont peut-être eux qui nous font naviguer entre la réalité et le rêve. Le cauchemar et la comédie…

Serge Schiro dans son antre…

Comment as-tu justement réussi à équilibrer l’épouvante et la comédie ?

La comédie vient du côté onirique (je pense au rêve du prologue de la pièce, où Jonathan est endormi, et Mina est « l’objet » de son rêve, où elle rencontre un Dracula sous cocaïne qui veut s’en prendre à elle…). En fait, j’aime à jouer de cet équilibre entre le bien et le mal, le rire et les pleurs… Un équilibre où l’on se perd, on ne sait pas comment agir- réagir – face aux situations données… C’est surréaliste ! Dois-je rire ou sortir mon mouchoir ? Dois-je rire ou fermer mes yeux ? Dois-je croire ce que je vois ? Ou bien n’est-ce qu’une illusion ? Je ne sais pas ! Je suis perdu ! Et je tiens à ce que le spectateur vive aussi cette « mouvance » du « ne pas savoir ». D’où ce mélange, cet équilibre entre la comédie et l’épouvante ! Car, oui, si on prend l’histoire au premier degré, elle est horrible ! Invivable ! Il est donc nécessaire de larguer du lest, sinon ça devient intenable ! En tout cas, c’est mon point de vue ! Et mon but est de rendre la scène immersive pour le spectateur. Qu’il soit aussi acteur de ce qu’il voit et entend… C’est peut-être décalé, mais je pourrai faire référence aux films Evil Dead 2 et 3, de Sam Raimi, qui réussit à nous faire accepter l’horreur par la touche comique et onirique qu’il apporte justement à ses films.

 

La pièce va-t-elle voir le jour sur scène ?

Haaa ! Quelle question ! Bien sûr que ce n’est pas l’envie qui m’en manque de porter ce projet sur une scène ! Mais ma vision des choses, très personnelle, demande à avoir un minimum de moyens qui pourront rendre magique et féérique ce conte ! Mais oui, pour répondre à la question, je serai heureux de pouvoir m’atteler à mettre en scène… mon cauchemar ! (Mon rêve ?)

 

Si vous voulez vous procurer la pièce de Serge Schiro, écrivez-lui directement : schiro-serge16@bbox.fr 



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