LE RENNE BLANC (1952)

Fleuron du cinéma fantastique finlandais, ce conte d’épouvante raconte la transformation d’une femme en créature assoiffée de sang…

VALKOINEN PEURA

 

1952 – FINLANDE

 

Réalisé par Erik Blomberg

 

Avec Mirjami Kuosmanen, Kalervo Nissilä, Åke Lindman, Arvo Lehesmaa, Jouni Tapiola, Tyyne Haarla, Pentti Irjala, Edvin, Kajanne, Kauko Laurikainen

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I VAMPIRES I MAMMIFÈRES

Directeur de la photographie en activité depuis le milieu des années 30, Erik Blomberg est au départ engagé pour signer les images du Renne blanc, un film d’épouvante reposant sur une légende folklorique lapone et nécessitant un savoir-faire technique bien particulier, dans la mesure où la grande majorité des prises de vues sera réalisée en extérieurs naturels finlandais. Mais le premier metteur en scène envisagé, Aarne Tarkas, doit se désister et Blomberg le remplace au pied levé, signant là son premier long-métrage en tant que réalisateur. Pleinement impliqué dans le projet, il en rédige aussi le scénario avec son épouse Mirjami Kuosmanen, qui jouera par ailleurs le rôle principal du film. Les cinq premières minutes du Renne blanc égrènent des panoramas de paysages hivernaux nocturnes tandis qu’un chant opératique envoûtant et un brin inquiétant résume en quelques vers la légende que le film s’apprête à nous raconter. Les paroles s’achèvent alors qu’un enfant vient de naître dans une tente rustique, sous le regard de ses parents. Puis soudain, c’est la rupture de ton : la musique est guillerette, les images éclatantes, le tout dans une ambiance presque disneyenne. Alors qu’ils participent joyeusement à une course de luges tirées par des rennes, Aslak (Kalervo Nissilä) et Pirita (Mirjami Kuosmanen) se déclarent leur flamme en se roulant dans la neige. C’est mignon tout plein, mais nous savons que le drame couve…

De fait, même si le petit nid douillet que se constituent Aslak et Pirita au cœur des neiges finlandaises semble idyllique, la jeune femme n’est pas pleinement satisfaite. Comment s’assurer que la passion conjugale sera complète, intense et sans fin ? Alors que son époux doit s’absenter quelques temps pour s’en aller chasser le renne ailleurs, Pirita est gagnée par la solitude et décide d’aller rendre visite au chamane local, Tsalkku-Nilla (Arvo Lehesmaa), qui prépare une potion et récite un sortilège tout en demandant à sa visiteuse de sacrifier la première créature vivante qu’elle rencontrera. Pirita verse donc le sang d’un jeune renne blanc qu’Aslak avait libéré mais le rituel tourne mal. Le chamane crie soudain le mot « sorcière » avec épouvante, tandis que notre épouse frustrée est désormais victime d’une terrible malédiction. Chaque soir de pleine lune, elle acquiert des pouvoirs surnaturels qui la dotent d’une inextinguible soif de sang humain et lui permettent de se métamorphoser en grand renne blanc sauvage… Malgré les apparences, Le Renne blanc n’est donc pas du tout un conte de Noël !

Le renne des neiges

Loin des codes dictés par les Universal Monsters en général et par Le Loup-garou en particulier, Erik Blomberg ne recourt jamais aux effets spéciaux pour visualiser les transformations de Pirita, utilisant le pouvoir de suggestion du montage, des raccords dans le mouvement ou d’idées visuelles toutes simples comme des traces de pas dans la neige qui changent progressivement de taille et de forme. Le renne lui-même n’a pas besoin de grand-chose pour nous persuader de son caractère surnaturel. La mise en scène se contente de saisir sa beauté altière, courant au ralenti dans la neige immaculée ou se découpant en contre-jour devant le ciel lapon, et l’imagination du spectateur fait le reste. Lorsque l’héroïne nous révèle frontalement son comportement monstrueux, arborant une dentition de vampire et un regard digne de Bela Lugosi, la lumière devient expressionniste, comme pour mieux conformer le film au genre horrifique classique. Pour autant, Le Renne blanc possède une singularité qui fait fi de toute comparaison. D’ailleurs, c’est souvent sans artifice que le fantastique est évoqué, comme dans cette scène d’église où tous les fidèles chantent à l’unisson, sauf Pirita dont le visage figé exhale une inquiétante étrangeté. On imagine sans mal les complexités logistiques d’un tel tournage dans ces vastes panoramas neigeux qui s’étendent à perte de vue, surtout lorsque d’impressionnants troupeaux de centaines d’animaux se déploient à l’écran, ou lorsque les acteurs doivent se déplacer à ski pour dévaler d’immenses dénivelés. Certains décors surréalistes – le cimetière des rennes où des bois desséchés émergent du sol blanc – et le traitement de la bande son – dans laquelle tous les dialogues sont post-synchronisés – accroissent encore le sentiment de bizarrerie que dégage ce film décidément hors norme.

 

 

© Gilles Penso


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