

Alors qu’une étrange épidémie se répand dans les hôpitaux, une mère célibataire essaie de gérer les angoisses de sa fille adolescente et les crises de son frère toxicomane…
ALPHA
2025 – FRANCE / BELGIQUE
Réalisé par Julia Ducournau
Avec Melissa Boros, Golshifteh Farahani, Tahar Rahim, Emma Mackey, Finnegan Oldfield, Louai El Amrousy, Marc Riso, Jean-Charles Clichet, François Rollin
THEMA MUTATIONS
Julia Ducournau avait frappé très fort dès ses premiers pas derrière la caméra. Grave, récit initiatique sur fond de cannibalisme, avait secoué le public tout en révélant la personnalité atypique d’une réalisatrice alors prometteuse. Mais dès son second opus, Titane, quelque chose commençait à clocher. Difficile de savoir si ce film bizarre, s’amusant avec les codes les plus outranciers du cinéma de genre (l’horreur graphique, le porno chic) avant de bifurquer vers le drame social et psychologique, était le fruit d’une démarche sincère ou un jeu d’esbroufe déguisé en film d’auteur provocateur. Sans doute trop confiante – difficile de ne pas l’être après une Palme d’Or à Cannes -, Ducournau remet le couvert avec un troisième long-métrage pétri manifestement de belles intentions mais terriblement maladroit, pour ne pas dire embarrassant. C’est d’autant plus dommage que le mal-être et le malaise racontés dans Alpha semblent vouloir prolonger ceux que dépeignaient Grave et Titane, et même les premiers courts-métrages de la cinéaste, preuve d’une indiscutable cohérence et d’un discours homogène sans doute nourri d’éléments autobiographiques – ou du moins de peurs profondément intimes. Mais Alpha peine à convaincre, et son visionnage finit par se muer en épreuve rébarbative.


L’intrigue se déroule manifestement dans les années 80, au sein d’une petite ville portuaire du Havre, même si les repères spatiaux et temporels semblent volontairement laissés dans le flou. Une femme médecin (Golshifteh Farahani) travaille dans un service hospitalier fermé suite à une surcharge de malades, tous atteints d’un même virus qui altère progressivement leur corps. Lorsqu’elle rentre chez elle, il lui faut encore gérer une vie familiale pas simple. Sa fille Alpha (Melissa Boros), 13 ans, est saisie de crises d’angoisse et ostracisée par ses camarades de classe qui la croient atteinte d’une maladie contagieuse. Lorsque l’adolescente décide de se faire tatouer la lettre A sur son bras, sa mère panique. L’aiguille était-elle propre ? Ne risque-t-elle pas d’avoir attrapé le virus qui circule en ce moment partout ? Les choses se compliquent encore lorsque l’oncle d’Alpha (Tahar Rahim), un toxicomane sérieusement marqué par la maladie, vient s’installer chez elles…
Tout ça pour quoi ?
Julia Ducournau convoque très tôt une imagerie fantastique dans son film. Les malades atteints de l’étrange mal voient leur peau se craqueler et prendre la teinte du marbre, voire du bronze, bref se déshumaniser progressivement, tandis que leur bouche exhale de la fumée, symbole manifeste de leur souffle de vie qui s’échappe peu à peu. Bien sûr, il n’est pas difficile d’y voir la métaphore de l’épidémie du sida, d’autant que le scénario insiste lourdement sur le fait que ce virus circule dans les veines, se transmet par le sang, touche la communauté homosexuelle… Le « A » tatoué, par lequel le drame s’amorce, serait-il donc à la fois l’initiale de l’héroïne et celle du mot AIDS ? Dans le même état d’esprit, Alpha se transforme littéralement en film catastrophe lorsqu’il faut traduire les moments de panique de la jeune protagoniste. Le monde extérieur semble soudain pris dans une tempête monstrueuse, le plafond de sa chambre se rapproche inexorablement en menaçant de l’écraser. Quant au final, il prend quasiment une tournure apocalyptique où tout n’est bientôt plus que poussière. Mais cette esthétisation de la détresse et de la maladie ne masque pas le problème majeur du film : son incapacité à raconter quelque chose de solide, à nous intéresser à ses personnages et à définir des enjeux dramatiques clairs. Voilà pourquoi, malgré l’indiscutable implication de ses comédiens (la métamorphose physique de Tahar Rahim, incroyablement amaigri, fait froid dans le dos), Alpha nous laisse perplexes et sérieusement dubitatifs.
© Gilles Penso
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