LA CITÉ DES ENFANTS PERDUS (1995)

Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro poursuivent leurs expérimentations en construisant un gigantesque univers rétro-futuriste

LA CITE DES ENFANTS PERDUS

1995 – FRANCE

Réalisé par Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro

Avec Ron Perlman, Daniel Emilfork, Judith Vittet, Dominique Pinon, Jean-Claude Dreyfus, Geneviève Brunet, Rufus

THEMA RÊVES I DOUBLES

La Cité des enfants perdus : Derrière ce titre délicieusement poétique se cache l’histoire de Krank, un homme vivant parmi d’étranges compagnons sur une plate-forme en mer perdue dans le brouillard, au-delà d’un champ de mines. Fruit d’une expérience génétique, il s’avère incapable de rêver, ce qui a pour effet d’accélérer son vieillissement. Pour venir à bout de ce détestable phénomène, il enlève les enfants d’une cité portuaire afin de voler leurs rêves, grâce à une étrange machine de son invention. L’univers si étrange créé par Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet pour La Cité des enfants perdus, situé en un lieu et une époque indéterminés à mi-chemin entre Paris et une cité portuaire, sous l’influence manifeste de Jules Verne, n’est pas si éloigné de celui de Delicatessen. Mais ici, l’uchronie et la technologie rétrofuturiste ont été largement amplifiées, le film assumant plus ouvertement son caractère science-fictionnel. Le budget lui aussi a bien gonflé (on l’estime à l’équivalent de 18 millions de dollars), ce qui permet aux cinéastes d’aller jusqu’au bout de leurs folles visions. 

« La cité s’inspirait à la fois des canaux de Venise, de la verticalité architecturale de New-York, des habitations de Londres au début du siècle, de l’amoncellement des maisons orientales, des constructions métalliques de Gustave Eiffel, des gravures de Gustave Doré et des peintures de De Chierico » (1) nous révèle Jean Rabasse, chef décorateur du film. Au sein de cette somptueuse direction artistique se mettent en branle des séquences insolites (quatre clones de Dominique Pinon se donnent des claques, une puce vue en très gros plan saute de corps en corps, l’incroyable cité s’étend dans de vastes panoramas brumeux) grâce à une série d’effets spéciaux numériques et mécaniques de haute tenue, le plus grand nombre jamais utilisé jusqu’alors dans un film français. 

Un équilibre difficile

Plus volontiers attirés par les « gueules » que par les stars, Caro et Jeunet optent pour un casting étonnant, avec en particulier Ron Perlman (l’un des trois héros préhistorique de La Guerre du feu), Daniel Emilfork (le génie de la lampe dans Le Voleur de Bagdad de Clive Donner), François Hadji-Lazaro (Gnahi dans Dellamorte Dellamore), mais aussi Dominique Pinon (dans un rôle septuple, chacun clamant à qui veut l’entendre qu’il est l’original et que les autres ne sont que des clones !) et Jean-Claude Dreyfus, déjà mis à contribution dans Delicatessen. Mais la révélation du film demeure Judith Vittet, gamine des rues s’étant endurcie prématurément sans perdre tout à fait sa fragilité. On regrette tout de même une narration confuse qui masque mal la terrible minceur du scénario, malgré cette magnifique idée du vol des rêves d’enfants. « Pour moi, le maître mot doit toujours être la cohérence, et ce n’était pas vraiment le cas dans La Cité des enfants perdus », reconnaît Jeunet. « Nous avons commis l’erreur de choisir l’environnement avant l’histoire. On sent les tirailleries entre Caro et moi, lui tirant le film vers le visuel et moi vers le narratif. » (2) Malgré tout, le film fit sensation lors de sa présentation en ouverture au Festival de Cannes et se mua en objet de culte auprès des cinéastes américains, ce qui permit à Jean-Pierre Jeunet d’amorcer sa carrière solo quelques années plus tard par l’entremise de la 20th Century Fox avec Alien la résurrection.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mars 1998

(2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2009

© Gilles Penso

 

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