CAPRICORN ONE (1978)

Suite à une avarie technique, la première expédition sur Mars est annulée… Mais personne ne doit le savoir !

CAPRICORN ONE

1978 – USA

Réalisé par Peter Hyams

Avec Elliot Gould, James Brolin, Sam Waterston, O.J. Simpson, Hal Holbrook, Brenda Vaccaro, Karen Black

THEMA POLITIQUE-FICTION

1969 : Neil Armstrong devient le premier homme à marcher sur la Lune. En pleine guerre froide, l’événement fait oublier la déroute au Vietnam et regonfle la fibre patriotique américaine. Cependant, certaines voix s’élèvent rapidement de l’ombre et remettent en doute la véracité de l’exploit, clamant à grand renfort de preuves plus ou moins crédibles que les images qui ont fait le tour du monde sont truquées et que les astronautes n’ont jamais quitté le plancher des vaches. Peter Hyams, inspiré par ces théories du complot (auxquelles il semble personnellement donner du crédit) et fort de son expérience de reporter qui lui avait permis de côtoyer un spécialiste de la Nasa, écrit un script en béton : en plein désintéressement général de la course à l’espace, une mission sur Mars est lancée, cependant un souci technique menace le départ. Les hauts responsables décident néanmoins de ne pas faire avorter le projet et de simuler la réussite de l’entreprise. Trois pilotes se retrouvent contraints et forcés de tourner de fausses images martiennes dans le hangar d’une vieille base isolée de l’US Army. L’illusion est parfaite et le pays se passionne pour leur expédition. Malheureusement, leur retour sur Terre voit la destruction inopinée de la capsule. Désormais officiellement morts, nos trois “héros” doivent lutter pour leur survie, pris en chasse par des tueurs implacables mandatés par leur hiérarchie, bien décidés à les éliminer pour préserver le pot-aux-roses et l’élan national…

Malgré les possibilités évidentes d’une telle histoire, les studios ne croient pas au potentiel commercial de l’affaire. Il faudra attendre le scandale du Watergate en 1972 et la vague à succès de thrillers paranoïaques comme A cause d’Un Assassinat ou Les Trois Jours Du Condor pour que Hyams vende son traitement. Le film sera finalement mis en chantier en 1978, permettant au futur réalisateur d’Outland de livrer un de ces divertissements ultimes dont il a le secret : science-fiction au réalisme documentaire proche de celui de Rencontres du Troisième Type, thriller stressant, film d’action trépidant, réflexion politique et sociétale, Capricorn One est tout à la fois, et surpasse ainsi ses illustres prédécesseurs. Après une brillante première moitié qui multiplie les trouvailles graphiques inoubliables et les plans remarquablement bien pensés (on ne vantera jamais assez le sens de la composition de cadre du bonhomme, parfaite union du fond et de la forme, qui rivalise souvent avec le génie sensitif de Spielberg, auquel il emprunte ici Bill Butler, le chef opérateur des Dents de la Mer), le film bascule en survival spectaculaire et se pare des codes du western. Désert aride, ville fantôme, serpent à sonnette, scorpion, tempête de sable, marche à l’Ouest, les références abondent et sont autant d’épreuves à surmonter pour les protagonistes, qui s’éloignent tous trois en tenue spatiale d’une navette au milieu de nulle part et se voient renvoyés à l’état primitif (Brubaker dévore le reptile pour subsister ou se camoufle comme un caméléon), évoquant La Planète des Singes

La poursuite impitoyable

Comme dans le chef-d’oeuvre de Schaffner, la planète hostile est à nouveau la Terre, l’Homme, l’ennemi intérieur véritable, et l’indispensable Jerry Goldsmith le chef-d’orchestre qui crée un danger palpable. Le compositeur intervient par couches menaçantes et vient briser des silences pesants, offrant un thème mémorable aux deux hélicoptères noirs des bad guys, oiseaux de morts personnifiés qui communiquent entre eux en se regardant et acquiesçant comme le feraient des humains. Stars iconiques du métrage, ils ont droit aux meilleures séquences, parmi lesquelles une escalade harassante dont ils annihilent sournoisement l’issue, et une poursuite aérienne très impressionnante pour l’époque, qui préfigure celle du Tonnerre De Feu de John Badham, pirouette finale comprise. Comme toujours chez Hyams, l’action n’empêche pas la profondeur : cette bataille voit s’affronter deux symboles du progrès et un vieux coucou d’antan, juste après un passage dans une vieille station service décorée de publicités des années 60 dont James Brolin (qui fut un faux cowboy dans  Mondwest), chef de la mission, s’échappe en passant à travers une vitre pour semer ses assaillants. Le message est clair : à l’innocence et à l’ancienne garde composée de ces astronautes loyaux et éthiques, le metteur en scène oppose brutalement la froideur mécanique d’une évolution technologique impitoyable, et la transition se fera dans la douleur. Conservateur ? Plutôt critique vis-à-vis de la course au patriotisme, qui confond vitesse et précipitation et privilégie le profit à l’humanisme. Cette critique s’applique également à un journalisme friand du scoop à tout prix, non sans un humour bienvenu, à travers les personnages croustillants composés par Elliott Gould et Karen Black, qui se balancent des répliques fort bien écrites, s’inscrivant dans la tradition de l’âge d’or d’Hollywood et ses duos cinglants.
 
Hyams n’oublie pas d’ouvrir une réflexion sur le pouvoir manipulateur des images, suivant une thématique chère à Brian De Palma ou Dario Argento : la caméra ne ment pas. Même dupé par une manipulation visuelle, il est toujours possible de déceler la vérité, un indice dans le coin du cadre. La séquence finale au cimetière entérine le propos, voyant le seul survivant et l’intrépide journaliste courir vers les équipes de télévisions qui braquent leurs feux sur eux pour dévoiler la supercherie au monde entier. Les événements ne deviennent réels et avérés que lorsqu’ils passent par le prisme de la caméra (et des médias, monarques pervers de l’exploitation et de l’interprétation visuelle). Brillant. Les studios, qui trouvent le film anti-patriotique, seront les premiers surpris quand Capricorn One remportera un triomphe. Ce succès inespéré, outre le fait qu’il propulsera son auteur vers des sommets bien mérités, rassurera quelque peu sur la propension des spectateurs à analyser et remettre en question la véracité de l’information. Qualité malheureusement devenue en 2018 source de toutes les saillies complotistes imaginables. C’est la dose qui fait le poison.
 
© Julien Cassarino

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