THE HOUSE THAT JACK BUILT (2018)

Lars Von trier continue à jouer les provocateurs en dressant le portrait glacial d'un tueur incarné par Matt Dillon

THE HOUSE THAT JACK BUILT

2018 – DANEMARK / FRANCE

Réalisé par Lars Von Trier

Avec Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman, Siobhan Fallon Hogan, Sofie Grabol, Riley Keough, Jeremy Davies

THEMA TUEURS

Persona non grata au Festival de Cannes après des déclarations stupidement scandaleuses liées aux nazis, Lars Von Trier avait une revanche à prendre. Non pas un mea culpa, mais plutôt une tentative de redéfinir et de clarifier sa démarche d’artiste provocateur et misanthrope. Fruit de cette volonté, The House That Jack Built est probablement l’un de ses longs-métrages les plus audacieux et les plus intéressants depuis bien longtemps. Derrière ce titre emprunté à une comptine enfantine séculaire se cache le récit glaçant d’un tueur en série formidablement incarné par Matt Dillon. Sa croisade meurtrière nous est décrite à travers cinq exemples aléatoires puisés dans les douze dernières années de son existence. Pour raconter ses sinistres exploits, il s’adresse à une voix mystérieuse et vénérable qui pourrait fort bien être son confesseur ou sa conscience mais dont le surnom, « Verge », semble être le diminutif américanisé de Virgile, celui qui guidait Dante jusqu’aux Enfers dans « La Divine Comédie ». Victime de troubles obsessionnels du comportement, Jack tue froidement femmes, hommes et enfants, s’efforçant de doter ces meurtres d’un caractère esthétique. Maniaque de l’ordre et de la propreté, ingénieur qui rêvait d’être architecte, étranger aux notions de bien et de mal, il s’affuble du sobriquet de « Mister Sophistication » en adressant à la presse des clichés macabres issus de ses crimes. Mais plus il tue, moins il se montre prudent… A moins qu’il ne souhaite inconsciemment être arrêté ? 

The House That Jack Built est violent et subversif. De la part de Lars Von Trier, on n’en attendait pas moins. Mais comment ne pas y lire en filigrane une réponse du cinéaste à tous ses détracteurs ? Ce maniaque qui cède à la brutalité et à l’amoralité pour créer une œuvre artistique en perpétuelle évolution, n’est-ce pas lui-même ? Ce personnage qui semble s’adonner à la misogynie (les victimes de Jack sont principalement des femmes stupides) et aux élans fascistes (il cite hitler et le troisième reich) n’est-il pas le reflet contrefait de l’artiste torturé qui le met en scène, en un vertigineux effet de mise en abîme ? 

Le sang, les larmes, le rire et l'horreur

The House That Jack Built ressemble d’ailleurs à une œuvre somme, une sorte de testament du cinéaste qui non seulement s’auto-cite (des extraits de ses propres films viennent ponctuer le récit en cours de route et se mêlent bizarrement à des images documentaires bien réelles) mais aussi semble revenir à ses toutes premières expérimentations cinématographiques, celles de l’époque d’Europa et Element of Crime (dans lequel une femme citait d’ailleurs le poème « The House That Jack Built »). L’esthète cinéphile qu’il était en début de carrière et le garnement provocateur qu’il est devenu par la suite se retrouvent donc sur l’écran et tentent de cohabiter au sein d’un maelstrom multiforme où le sang, les larmes, le rire et l’horreur fusionnent aux accents des improvisations jazz de Glenn Gould et des rythmiques funky du « Fame » de David Bowie. Lars Von Trier cherche visiblement à mettre en lumière une certaine cohérence dans son œuvre, au sein de ce récit tourmenté qui débouchera sur une inexorable descente aux Enfers, comme en témoigne le final dantesque et excessif de ce film décidément hors-norme.

 

© Gilles Penso

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