DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE (1920)

La plus célèbre des adaptations muettes du roman de Robert Louis Stevenson, avec un John Barrymore hallucinant

DR JEKYYLL AND MR HYDE

1920 – USA

Réalisé par John S. Robertson

Avec John Barrymore, Martha Mansfield, Brandon Hurst, Nita Naldi, Louis Wolheim, Charles Lane, George Stevens

THEMA JEKYLL & HYDE

Voici la plus connue et la plus marquante des adaptations muettes de la nouvelle “L’Etrange Cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde” de Robert Louis Stevenson (de 1908 à 1925, on en dénombre une bonne douzaine). Sous la direction de John S. Robertson, John Barrymore incarne avec élégance et raffinement un docteur Jekyll bienveillant, plongé dans des expériences scientifiques progressistes qui surprennent ses collègues beaucoup plus conservateurs. Pétri de bons sentiments, il occupe le peu de loisir qui lui reste à prendre en charge un hôpital pour pauvres qu’il finance de ses propres deniers. Bref, c’est un chic type. Revers de la médaille, sa vie sociale en prend un coup, sa fiancée Millicent doit se contenter d’une relation désespérément platonique, et ses pairs se moquent un peu cyniquement de son éternelle affabilité. 

Un soir, n’y tenant plus, ils le traînent dans un music-hall des bas quartiers pour lui prouver que les bas instincts et la vile tentation sommeillent en chacun des hommes. Et effectivement, face aux déhanchements lascifs de la danseuse italienne Gina, Jekyll défaille presque. Alors, pour définitivement chasser sa part bestiale, il l’isole grâce à une potion de son invention et dédouble sa personnalité. Survient donc l’inévitable séquence de transformation, dans laquelle le talent de Barrymore brille de tout son éclat. Car la métamorphose en question se déroule en plan-séquence, sans l’ombre d’un effet spécial, entièrement supportée par le comédien qui gesticule comme un dément, libère une tignasse sauvage jusqu’alors soigneusement peignée et affuble son visage d’une grimace animale. Pour parachever cette étonnante séquence de mutation, un fondu enchaîné change sa main en serre crochue, tandis qu’un maquillage efficacement sobre, précurseur de ceux de Lon Chaney, allonge davantage sa crinière, déchausse ses dents et termine son crâne en bosse proéminente.

Incisif, brutal et sans concession

Dans les premiers temps, Jekyll parvient à maîtriser ses métamorphoses, et continue donc de mener sa tranquille vie de médecin humaniste, tout en laissant son double maléfique se libérer de temps en temps pour assouvir ses pulsions, notamment auprès de la malheureuse Gina, maltraitée et échue dans la misère. Mais bientôt, les transformations échappent à tout contrôle. Hyde se mue en assassin sanguinaire, n’hésitant pas à tuer en pleine rue un enfant et le père de Millicent, avec une sauvagerie qui dut choquer plus d’un spectateur en 1920. Car la mise en scène de Robertson, si elle n’échappe pas à la théâtralité inhérente aux œuvres de cette époque, s’avère incisive, brutale et dénuée de concessions. L’une des séquences les plus étonnantes du film nous montre Jekyll alité, soudain attaqué par une cauchemardesque araignée géante et fantomatique, affublée de pattes velues et d’un abominable faciès humain. Cette apparition surréaliste est la matérialisation des aspects les plus noirs de sa personnalité, de son Ça, et elle constitue l’une des idées visuelles les plus fortes de cette remarquable adaptation du mythe engendré par Stevenson. Une adaptation qui donnera le la pour toutes celles à venir.

 

© Gilles Penso

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