Théma JEKYLL & HYDE

« Le ciel se ferme lentement comme une grande alcôve,

Et l’homme impatient se change en bête fauve. »

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

C’est en janvier 1886 que Robert Louis Stevenson, auteur de la célèbre « Île au Trésor », fait publier sa nouvelle « Le cas étrange du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde », un récit troublant qui lui aurait été inspiré sous l’influence de médicaments supposés l’aider à dormir. Ce serait donc en proie à une insomnie fiévreuse que Stevenson imagina l’histoire d’un notaire, Gabriel John Utterson, enquêtant sur les méfaits du sinistre Edward Hyde et sur les liens obscurs qu’il tisse avec le philanthrope docteur Henry Jekyll. 

 

Comme chacun sait, Hyde est en réalité le « double maléfique » de Jekyll. Apprenti sorcier au même titre que son confrère imaginaire Victor Frankenstein, Jekyll a en effet mis au point une formule chimique censée purger le mal de sa propre personnalité. Mais la nature ayant horreur du vide, une excroissance maligne et démoniaque de lui-même nait de cette expérience et perpètre les méfaits que lui même n’aurait jusqu’alors même pas imaginés. Les fortes implications psychanalytiques de cette nouvelle l’ont muée en métaphore idéale du dédoublement de la personnalité, de la schizophrénie et de la distinction entre le Moi, le Ça et le Surmoi. 

 

« J’ai découvert que si deux natures se disputaient l’empire de ma conscience, on ne pouvait légitimement me réduire à l’une ou l’autre : j’étais à la fois et absolument, et tout l’un et tout l’autre. » C’est en ces termes que Jekyll décrit la nature de ses recherches sous la plume de Stevenson, s’apprêtant à bâtir un mur entre ses pulsions primaires et ses projets sociaux. Le destin funeste de Jekyll a très tôt été adapté au théâtre (dès 1887), s’érigeant en élément incontournable de la culture occidentale. 

 

Le cinéma s’y pencha dès 1908 et ne cessa dès lors d’en multiplier les adaptations, offrant à de nombreux comédiens le double rôle du savant et de son affreux alter-ego, parmi lesquels on se souviendra notamment de John Barrymore, Frederic March, Spencer Tracy, Boris Karloff, Paul Massie, Ralph Bates, Christopher Lee, Anthony Perkins ou encore Michael Caine. Les variantes humoristiques fleurirent parallèlement, les plus fameuses étant portées par le jeu polymorphe de Jerry Lewis et Eddie Murphy, mais même lorsque la farce se joue de l’épouvante, le trouble généré par le dédoublement psychique et physique de Jekyll et Hyde perdure et continue de fasciner inlassablement le public, toutes générations confondues.

 

© Gilles Penso

FILMS CHRONIQUÉS

1920: Docteur Jekyll et Mister Hyde de James S. Robertson
1931: Docteur Jekyll et Mister Hyde de Rouben Mammoulian

1941: Docteur Jekyll et Mister Hyde de Victor Fleming

1953: Deux nigauds contre le Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Charles Lamont
1959: Le Testament du Docteur Cordelier de Jean Renoir

1959: Le Vilain petit canard de Lance Comfort

1960: Les Deux visages du docteur Jekyll de Terence Fisher
1963: Docteur Jerry et Mister Love de Jerry Lewis

1971: Docteur Jekyll et Sister Hyde de Roy Ward Baker

1971: Je suis un monstre de Stephen Weeks

1972: Docteur Jekyll et le loup-garou de Leon Klimovsky

1990: Jekyll & Hyde de David Wickes

1996: Mary Reilly de Stephen Frears

1996: Le Professeur Foldingue de Tom Shadyac

2000: La Famille Foldingue de Peter Segal
2003: La Ligue des Gentlemen Extraordinaires de Stephen Norrington

2004: Van Helsing de Stephen Sommers
2017: Madame Hyde de Serge Bozon