BLOOD MACHINES (2019)

Un space opéra lyrique et surréaliste réalisé par deux artistes passionnés compensant leur budget très modeste par une inventivité en effervescence

BLOOD MACHINES

 

2019 – FRANCE

 

Réalisé par Seth Ickerman

 

Avec Elisa Lasowski, Anders Heinrichsen, Christian Erickson, Natasha Cashman, Walter Dickerson, Joëlle Berckmans, Alexandra Flandrin

 

THEMA SPACE OPERA ROBOTS ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Derrière le pseudonyme énigmatique Seth Ickerman se cachent deux réalisateurs français au talent fou et à l’audace insolente, Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard, bravant leur manque de moyens et la défiance compréhensible de la plupart des producteurs et distributeurs de l’industrie cinématographique « classique » par un enthousiasme communicatif, une opiniâtreté inébranlable et un savoir-faire impressionnant. En 2011, ils nous avaient subjugués avec Kaydara, un moyen-métrage de science-fiction qui semblait coûter mille fois plus que son budget réel et n’avait finalement qu’un défaut majeur : construire son intrigue en marge de la franchise Matrix au lieu de s’épanouir dans un univers original propre à ses auteurs. C’est le lot de tous les fan-films, si réussis soient-ils, fixant leurs limites narratives et empêchant la moindre exploitation commerciale de l’œuvre. Mais Kaydara joua son rôle de bande-démo et permit aux duettistes d’adapter leur expertise technique aux besoins de nombreuses compagnies prestigieuses (LG, Ubi Soft, Samsung) jusqu’à la réalisation du clip Turbo Killer pour l’artiste Carpenter Brut (alias Franck Hueso) dont l’influence majeure – comme son pseudonyme l’indique en partie – est la musique synthétique des années 80. L’expérience fut un succès et posa les jalons de leur projet suivant : le film Blood Machines.

S’il présente de nombreuses similitudes avec le clip Turbo Killer, Blood Machines n’en est pas vraiment une séquelle mais plutôt une variante, quittant la terre ferme pour s’envoler dans l’espace. Vascan (Anders Heinrichsen) et Lago (Christian Erickson) sont deux pilotes chargés de traquer une machine qui semble vouloir s’émanciper. Ils parviennent à l’abattre et rejoignent la planète sur laquelle elle s’est écrasée. Là, ils reçoivent l’accueil glacial de la mystérieuse Corey (Elisa Lasowski) et de son groupe de prêtresses, dont la mission semble être de préserver l’âme des machines. Vascan répond à cette attitude par un mépris amusé, jusqu’à assister à un phénomène totalement inattendu : la forme spectrale d’une jeune femme nue comme un premier né s’extrait de la carcasse métallique de l’épave abattue et prend son envol. Abasourdi, Vascan fait de Corey sa prisonnière et décolle aussi sec pour partir à la poursuite de la forme féminine à travers le cosmos, dans l’espoir de comprendre la nature de ce phénomène… L’odyssée spatiale qui commence transcende dès lors la narration traditionnelle pour se vivre comme un « trip », un voyage sensoriel inédit rythmé sur les compositions électroniques de Carpenter Brut.

Le fantôme dans la machine

Dès ses premières secondes, Blood Machines annonce la couleur : le spectacle qui nous attend échappe aux normes et aux codes habituels de la science-fiction. Les vaisseaux spatiaux ressemblent à des oiseaux mécaniques capables de se déployer ou de se rétracter à loisir, les ordinateurs de bord ne se contentent pas d’adopter une voix féminine mais en possèdent également les attributs physiques (en l’occurrence une relecture psychédélique du robot Maria de Metropolis) et le postulat dépasse le questionnement habituel de l’intelligence artificielle pour s’intéresser à l’âme artificielle. Bien plus qu’un prétexte scénaristique, ce point de vue décrit la démarche du film tout entier, sollicitant moins l’intellect des spectateurs que ses émotions. Car si la trame reste intelligible – une course poursuite cosmique visant à ramener l’étrange « objet » échappé de la machine – elle s’efface progressivement derrière une succession de tableaux surréalistes vertigineux fusionnant l’organique et le mécanique jusqu’à positionner la Femme avec un grand F au centre de l’univers. Cette expérience fascinante mérite bien sûr d’être vécue sur un grand écran et laisse rêveur sur le potentiel de ces deux intrépides réalisateurs qu’aucun challenge technique ou artistique ne semble impressionner.

 

© Gilles Penso

 

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