LES MORSURES DE L’AUBE (2001)

Pour son premier long-métrage, Antoine de Caunes s’intéresse à la vie nocturne d’êtres étranges qui pourraient bien être des vampires

LES MORSURES DE L’AUBE

 

2001 – FRANCE

 

Réalisé par Antoine de Caunes

 

Avec Guillaume Canet, Asia Argento, Gérard Lanvin, Gilbert Melki, José Garcia, Vincent Pérez, Jean-Marie Winling

 

THEMA VAMPIRES

Patrick Godeau est un producteur audacieux en quête de sujets souvent atypiques. Après avoir collaboré avec des cinéastes aussi différents que Jérôme Boivin (Baxter, Confession d’un Barjo), Lars Von Trier (Europa), Jacques Audiard (Un héros très discret) ou Philippe de Broca (Le Bossu), il décide de mettre le pied à l’étrier à Antoine de Caunes, animateur star de Canal + bien décidé à passer à la mise en scène. Lorsqu’il découvre le roman « Les morsures de l’aube » de Tonino Benacquista, Godeau sent qu’il tient l’histoire idéale pour ce baptême derrière la caméra. Emballé, De Caunes confie le scénario à son complice de longue date, Laurent Chalumeau, qui écrivit d’innombrables sketches et textes pour les besoins de l’émission « Nulle part ailleurs ». C’est l’occasion pour les deux hommes de s’embarquer dans une aventure qui les éloignera du terrain où tout le monde les attend – la franche comédie référentielle – au profit d’un univers plus sombre, plus inquiétant et plus fantastique. Certes, l’humour n’a pas été évacué des Morsures de l’aube, mais il navigue entre deux eaux, au sein de ce que le jeune réalisateur appelle une « comédie noire » mais dont le véritable genre reste indéfini, aux confluents de la satire sociale, du thriller et de l’épouvante.

Dans le rôle d’Antoine Venequiste (un nom conçu comme une sorte d’hommage francisé à celui de l’auteur Tonino Benacquista), Guillaume Canet incarne un oiseau de nuit. S’invitant dans toutes les soirées parisiennes qui passent à sa portée pour manger gratuitement et fréquenter du beau monde, ce parasite insouciant nous rappelle « L’homme des foules » d’Edgar Allan Poe, qui ne peut vivre qu’au milieu du grouillement humain, comme s’il lui était intolérable de se retrouver confronté à sa propre solitude. Déjà s’installe insidieusement le thème du vampirisme, si ce n’est qu’Antoine n’aspire pas le sang des autres mais leur présence, leur énergie, leur vitalité. Dans une de ces nombreuses soirées mondaines dont il force le passage sans vergogne, Antoine rencontre un vieil homme qui lui propose la somme mirobolante d’un million de francs s’il réussit à retrouver un noctambule insaisissable prénommé Jordan. Avec l’aide de son ami Étienne (Gérard Lanvin), Antoine se lance dans une investigation qui s’annonce compliquée, croisant une faune nocturne bizarre et tombant nez à nez avec Violaine Charlier (Asia Argento), une jeune femme envoûtante et mystérieuse qui s’avère être la sœur de l’introuvable Jordan…

Made in Asia

Il faut reconnaître qu’Antoine de Caunes n’a pas choisi la facilité. Loin des farces potaches que concoctent habituellement les humoristes passant du petit au grand écran, l’ancien trublion d’Antenne 2 et Canal + (qui signa au passage les paroles françaises de la chanson de la série X-Or, le saviez-vous ?) s’immerge dans une atmosphère trouble en s’appuyant sur des effets de style très maîtrisés, notamment une photographie froide et légèrement désaturée propre à décrire des péripéties se déroulant majoritairement entre le crépuscule et l’aube. L’ambiance est là, soulignée par une bande son atemporelle aux colorations blues et jazzy… Mais au lieu de se mettre au diapason de cette mise en image ciselée, le scénario est distendu, lâche, languissant. A ce rythme irrésolu s’accrochent quelques incohérences qui rendent l’adhésion du spectateur très relative. De fait, au lieu de nous passionner ou du moins nous intriguer, l’enquête d’Antoine a tôt fait de nous laisser indifférent. Excellent acteur lui-même (comme il le prouva notamment dans L’Homme est une femme comme les autres de Jean-Jacques Zilbermann), De Caunes semble beaucoup trop s’appuyer sur ses comédiens en espérant que leur seule présence crée l’alchimie nécessaire. Certes, Guillaume Canet et Gérard Lanvin sonnent plutôt juste dans les registres respectifs (et attendus) de la désinvolture légère et de la bougonnerie taciturne. On ne peut pas en dire autant des seconds rôles qui semblent n’exister que pour s’inscrire dans une collection de scènes insolites. Comme Gilbert Melki qui se refait le look de Gary Oldman dans True Romance pour camper un improbable rasta fasciste trafiquant des pitbulls. Ou José Garcia qui en fait des tonnes sous la défroque d’un habitué des karaokés sado-masochistes. La seule véritable trouvaille du film est Asia Argento. Sulfureuse, troublante, inquiétante, la fille du grand Dario constelle le film d’une délicieuse étrangeté qui le fait immédiatement basculer dans le fantastique pur. La plus belle scène des Morsures de l’aube est probablement celle où Guillaume Canet, comme ensorcelé, croit faire l’amour avec trois exemplaires de la belle Asia, à la manière d’un Jonathan Harker pris dans les filets du trio de femmes-vampires de Dracula. Mais une belle scène ne suffit pas hélas à faire un bon film.

 

© Gilles Penso



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