BIENVENUE À MARWEN (2018)

Traumatisé par une agression qui l’a laissé amnésique, un homme invente un monde fictif dans lequel les jouets prennent vie

WELCOME TO MARWEN

 

2018 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Steve Carell, Leslie Mann, Diane Kruger, Merritt Wever, Falk Hentschel, Janelle Gonzalez, Gwendoline Christie, Leslie Zemeckis, Neil Jackson

 

THEMA JOUETS I RÊVES I MONDES VIRTUELS ET MONDES PARALLÈLES

« D’après une histoire vraie » nous annonce un texte à l’écran, juste après les premiers noms du générique. Pourtant, les images qui suivent semblent vouloir contredire effrontément cette mention. Car entre les nuages d’un ciel frappé par une série d’explosions, un avion de la seconde guerre mondiale fonce en slalomant, piloté par un soldat en plastique qui répond au nom de Captain Hogie. Après un atterrissage en catastrophe dans une campagne surdimensionnée, notre héros est attaqué par une troupe de nazis (en plastique eux aussi) et ne doit son salut qu’à l’intervention d’un commando de poupées façon Barbie, armées jusqu’aux dents et bien décidées à en découdre. L’histoire est vraie et pourtant le traitement est fantastique. Voilà tout le paradoxe et la singularité du dix-neuvième long-métrage de Robert Zemeckis. Le personnage réel à l’origine du film est Mark Hogancamp, qui a le malheur un soir d’ivresse d’affirmer dans un bar qu’il n’est pas contre l’idée de porter des chaussures de femmes. Il n’en faut pas plus à cinq brutes épaisses pour se jeter sur lui et le tabasser avec une violence inouïe qui le laisse entre dans la vie et à la mort. Après neuf jours de coma et quarante jours d’hospitalisation, Mark est amnésique. Visiblement excellent dessinateur dans le passé, il est désormais à peine capable de tenir un crayon. Pour exorciser le traumatisme dont il fut victime et raviver la flamme artistique qui l’anime, il photographie des saynètes situées dans un village belge imaginaire en pleine seconde guerre mondiale. Ses héros sont des jouets hyperréalistes inspirés de son entourage réel, et son œuvre finit par s’exposer avec succès.

Cette histoire étonnante fait l’objet d’un documentaire de Jeff Malmberg, Marwencol, que Zemeckis découvre et décide de transformer en fiction mi-réaliste mi-fantasmagorique. En entrant dans l’imagination de son protagoniste, le réalisateur de Qui veut la peau de Roger Rabbit jongle ainsi entre deux mondes parallèles qui s’interpénètrent. Celui de la réalité s’intéresse au quotidien, aux névroses, aux sautes d’humeur et aux élans d’inspiration de Mark, campé avec une subtilité remarquable par un Steve Carell en total contre-emploi. Celui de l’imagination transforme ses jouets en personnages animés d’une vie propre, comme s’ils échappaient parfois à la volonté de leur créateur. Le capitaine Hogie, héros central de cet univers miniature, est un alter-ego courageux et intrépide de Mark. Les nazis qui ne cessent de revenir le tourmenter sont le reflet de ses agresseurs. Quant aux femmes qui dirigent Marwen et prêtent main forte au brave soldat, elles s’inspirent directement des nombreuses présences féminines qui entourent Mark : ses collègues de travail, son aide-soignante, la commerçante qui en pince pour lui et la nouvelle voisine qui ne le laisse pas indifférent…

Small Soldiers

Le principe de Bienvenue à Marwen peut faire penser à Toy Story, mais le processus narratif est inverse. Car si chez John Lasseter les jouets s’animent dès que les humains ont le dos tourné, c’est ici l’homme qui leur donne vie par la seule force de sa pensée. Or plus le film avance, plus notre photographe a du mal à distinguer la réalité du fantasme, Zemeckis brouillant les cartes avec la virtuosité que nous lui connaissons et concoctant des séquences de bataille épiques qui s’invitent sans préavis dans le jardin ou dans le salon d’un héros de plus en plus désemparé. Le réalisateur s’amuse de toute évidence à retrouver le cinéma purement récréatif dont il fut l’un des porte-paroles les plus talentueux dans les années 80-90, réservant même aux amateurs un clin d’œil appuyé à la trilogie Retour vers le futur, tandis que le fidèle compositeur Alan Silvestri accompagne avec enthousiasme le lyrisme épique de ces scènes d’action surréalistes. Mais le cœur de Bienvenue à Marwen est ailleurs. Si le film parvient à toucher la corde sensible, c’est par la finesse avec laquelle est traitée la personnalité complexe de son protagoniste. Ses bizarreries sont abordées sans cynisme, notamment cette fascination pour les chaussures à talons que Zemeckis dépeint avec la même candeur que Tim Burton face au fétichisme d’Ed Wood pour les pulls angoras. Marwen est un film inclassable, difficile à étiqueter, rétif au catalogage. Sans doute est-ce la raison majeure de son cuisant échec au box-office.

 

© Gilles Penso

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