SUSPIRIA (2018)

Dans cette relecture surprenante du classique de Dario Argento, la danse devient un rituel diabolique

SUSPIRIA

 

2018 – ITALIE / USA

 

Réalisé par Luca Guadagnino

 

Avec Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth, Angela Winkler, Ingrid Caven, Elena Fokina, Sylvie Testud, Renée Soutendijk, Christine Leboutte, Malgosia Bela

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA LES TROIS MÈRES

Pour Luca Guadagnino, le Suspiria de Dario Argento est un des films italiens les plus importants de tous les temps, une œuvre aussi majeure que le 8 1/2 de Fellini. Désireux de lui rendre hommage, il pense à un remake dès 2007, date de la création de sa compagnie de production First Sun. Conscient que son propre nom ne suffirait pas à rassurer d’éventuels investisseurs, il propose le projet à David Gordon Green, alors auréolé du succès de sa comédie policière Délire express avec Seth Rogen. Mais le financement tarde à se trouver, et Gordon Green part finalement tourner Votre majesté avec Natalie Portman et James Franco. Entre-temps, Guadagnino attire l’attention avec A Bigger Splash, une version italienne de La Piscine, et parvient enfin à concrétiser son Suspiria. Ironiquement, David Gordon Green réalisera la même année une autre relecture d’un classique de l’horreur des années 70 : Halloween. Le cinéaste italien et son scénariste David Kajganich décident de situer l’action du Suspiria de 2018 dans le Berlin de 1977, année de la réalisation du film original d’Argento. Si la trame reste la même, son traitement prend une tournure très différente et le récit se déploie dans des ramifications inattendues, d’où une durée de deux heures et demie de métrage – soit une heure de plus que le premier Suspiria. Tilda Swinton et Dakota Johnson, les deux actrices principales de A Bigger Splash, tiennent la vedette, tandis que la bande originale est confiée à Tom Yorke, chanteur du groupe Radiohead.

Divisé en actes qui s’inscrivent à l’écran comme autant de chapitres d’une tragédie classique, le scénario inscrit étroitement ses péripéties dans un contexte historique réel, notamment le détournement du vol de la Lufthansa par quatre terroristes se réclamant du front populaire de libération de la Palestine et le climat de paranoïa qui se répand dans l’Allemagne de 1977. C’est dans ce cadre réel, rappelé régulièrement par les graffitis inscrits sur un mur en face de l’école de danse Markos, que se déroule Suspiria. La jeune danseuse américaine Susie Bannion (Dakota Johnson), fuyant un passé tourmenté et une étouffante famille Amish, déménage à Berlin pour intégrer cette prestigieuse compagnie de danse, dirigée par une poignée de femmes mûres au comportement souvent insolite. Figure emblématique de l’école Markos, Madame Blanc (Tilda Swinton) mène les cours avec autorité et permet à Susie de progresser très vite. La jeune fille se lie d’amitié avec l’une des autres danseuses, Sara (Mia Goth), qui commence à émettre des doutes sur la directrice de l’institut après une série de meurtres brutaux. A ce récit vient se greffer en parallèle celui d’un vieux psychiatre (qu’incarne aussi Tilda Swinton sous une épaisse couche de maquillage !) enquêtant sur les dessous de l’école et blessé par la disparition de sa femme Anke (qui apparaît furtivement sous les traits de Jessica Harper, l’héroïne du Suspiria original). Lorsque Sara explique au vieil homme que cette école est une famille, il rétorque sans sourciller : « L’amour et la manipulation partagent souvent le même toit et couchent souvent ensemble ».

Danse avec les fous

Il faut reconnaître à Luca Guadagnino le mérite d’éviter de copier/coller le film original, ou pire de tenter de le moderniser en se calant sur les canons édulcorés du cinéma d’horreur pour adolescents des années 2010. Sa vision est radicale, âpre, sans concession, à l’image de ce premier meurtre qui ne cherche jamais à rivaliser avec la fulgurance horrifico-poétique de Dario Argento pour susciter des frissons plus viscéraux. D’où une chorégraphie terrifiante où la victime se contorsionne horriblement dans une salle de danse jusqu’à ce que son corps déformé ne soit plus que douleur. Très à son aise dans la construction d’un climat d’angoisse croissant et dans la conception de scènes de cauchemars surréalistes dignes d’un Luis Buñuel qui aurait tourné en 4K couleurs, Guadagnino veut visiblement retrouver la folle liberté créatrice dont bénéficiait Argento quarante ans plus tôt. Mais cette quête d’émancipation n’est pas sans revers. Les effets de style un peu outranciers du réalisateur frôlent bien souvent le maniérisme agaçant, jusqu’à un climax en forme d’orgie érotico-musico-gore sans queue ni tête qui ressemble presque à une version du final des Sorcières de Zugarramurdi qui aurait évacué tout trait d’humour. L’un des défauts majeurs de ce Suspiria est finalement d’avoir voulu intellectualiser une œuvre que Dario Argento n’a jamais voulu cérébrale mais au contraire primaire et sensitive. Trop conscient de la portée artistique et conceptuelle de sa vision, Guadagnino semble avoir oublié l’essence de son modèle, un conte de fées horrifique qui tirait toute sa force d’une approche purement instinctive.

 

© Gilles Penso

 

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