ALICE OU LA DERNIÈRE FUGUE (1977)

Sylvia Kristel incarne une jeune femme qui fuit son époux et perd le contrôle de son véhicule, basculant dès lors de l’autre côté du miroir

ALICE OU LA DERNIÈRE FUGUE

 

1977 – FRANCE

 

Réalisé par Claude Chabrol

 

Avec Sylvia Kristel, Charles Vanel, Jean Carmet, André Dussollier, Bernard Rousselet, Fernand Ledoux, François Perrot, Thomas Chabrol, Catherine Druzy

 

THEMA MORT

Alice ou la dernière fugue se situe exactement à mi-parcours de la filmographie de Claude Chabrol, à une période où le cinéaste, déjà auréolé de nombreux succès, cherche à se renouveler et à donner un second souffle à sa carrière. Avant de connaître une nouvelle consécration avec Violette Nozière, il s’offre une escapade (une « dernière fugue » ?) avec cette relecture étonnante des écrits de Lewis Carroll. Tout commence dans un cadre banal qui ressemble presque à une parodie d’un film de Claude Chabrol. Dans le salon d’un appartement bourgeois, vissé devant son téléviseur, un homme (Bernard Rousselet) déblatère, raconte ses anecdotes de bureau, bombe le torse, s’écoute parler et nous exaspère. Son épouse (Sylvia Kristel) l’entend plus qu’elle ne l’écoute, le regard lointain. Lorsqu’enfin elle peut en placer une, c’est pour lui dire qu’elle le quitte. Pas de dispute, pas de cris, pas de larmes, juste une profonde lassitude qui pousse Alice à faire sa valise et à prendre la route. Pour où ? Le sait-elle elle-même ? Elle roule, prend le large, mais un orage tonne et son pare-brise vole soudain en éclat. Alice trouve refuge dans une vaste demeure où l’accueillent le vieux Vergennes (Charles Vanel) et son domestique Colas (Jean Carmet). Elle y dîne, y passe la nuit, mais au matin ses hôtes ont disparu. Après un bref petit-déjeuner, elle regagne son véhicule (dont le pare-brise est miraculeusement réparé) et reprend la route. Mais elle s’égare et revient sans cesse à son point de départ, comme si elle était prisonnière d’un espace-temps n’obéissant à aucune logique connue…

Les références à Lewis Carroll abondent tout au long du métrage, du nom de l’héroïne (Alice Carrol) à cette traversée du miroir symbolisée par la destruction du pare-brise en passant par le labyrinthe dans lequel se perd notre héroïne. Mais en guise de « pays des merveilles », nous aurions plutôt affaire à un cauchemar. Chabrol joue avec l’idée du temps qui se boucle et bégaie, à travers cette pendule qui s’arrête et se remet en marche toutes les nuits, ou ce disque rayé qui transforme les symphonies en ostinatos entêtants. L’insolite vire au surnaturel lorsque des sons inquiétants résonnent au dehors, que les perceptions d’Alice semblent s’altérer au point de déformer son champ de vision et qu’une force invisible la pousse contre les murs. En toute logique, nous cherchons à comprendre. Au moment où le personnage agaçant incarné par André Dussollier, tout de blanc vêtu et coiffé comme Claude François, explique à Alice qu’elle ne doit pas poser de question ni chercher à comprendre, c’est aussi aux spectateurs qu’il s’adresse. Nous suivons donc cette aventure erratique sans savoir où elle va nous mener, comme si le cinéaste éprouvait notre patience et notre capacité à accepter la sortie des sentiers battus. Étant donné qu’il a choisi l’héroïne d’Emmanuelle comme actrice principale, Chabrol sacrifie à une brève scène de nu intégral, parfaitement gratuite mais conçue visiblement pour satisfaire les fans de la comédienne néerlandaise peu connue pour sa pudeur. Voilà qui égaie certes le métrage mais ne fait guère avancer l’intrigue.

Lewis Chabrol

Le problème, pour le public, est de parvenir à s’identifier à une héroïne qui se révolte sans grande conviction face à cette situation impossible, émettant de timides répliques censées traduire sa perplexité (« ce n’est pas possible » devant un mur infranchissable, « c’était trop beau » face à un téléphone qui ne fonctionne pas, « j’aurais dû m’en douter » lorsqu’un enfant apparaît puis disparaît). Elle finit par prendre son mal en patience, bouquine, écoute de la musique, bois du thé et ne s’étonne plus face à l’inexplicable. Tout ressemble à un rêve, ce qui ne serait pas étonnant si l’on tient compte de l’inspiration première de Chabrol, mais l’explication est ailleurs. Car il y a une explication, une raison concrète à cette collection de saynètes surréalistes. Le récit prend son sens au moment d’un final étonnant qui offre une relecture à posteriori de tous les événements passés. Cet exercice de style inhabituel de la part d’un cinéaste peu habitué au fantastique ne manque pas d’intérêt, mais il risque de laisser beaucoup de spectateurs sur le bas-côté à cause de l’apparente incohérence de la majorité de ses péripéties. Le film est dédié à la mémoire de Fritz Lang, mort au moment de son tournage.

 

© Gilles Penso

 

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