LA ROSE POURPRE DU CAIRE (1985)

Le personnage d’un film d’aventures des années 30 crève l’écran pour déclarer sa flamme à une spectatrice

THE PURPLE ROSE OF CAIRO

 

1985 – USA

 

Réalisé par Woody Allen

 

Avec Mia Farrow, Jeff Daniels, Danny Aiello, Irving Metzman, Dianne Wiest, Van Johnson, Zoe Caldwell, John Wood, Deborah Rush, Edward Herrmann

 

THEMA CINÉMA ET TÉLÉVISION

L’idée de La Rose pourpre du Caire est venue assez rapidement à Woody Allen, qui reconnaît parmi ses sources d’inspiration le Sherlock Jr de Buster Keaton et surtout la pièce « Six personnages en quête d’auteur » de Luigi Pirandello. Mais alors qu’il s’isole pour écrire le scénario, il bute à mi-parcours. Le concept initial d’un personnage de cinéma surgissant de l’écran pour déclarer sa flamme à une spectatrice est séduisant, mais comment faire progresser l’intrigue ? Allen ne tient la clé de son scénario que bien plus tard, lorsqu’il comprend qu’il faut faire intervenir l’acteur qui joue le personnage sorti du film. Pour le double rôle du comédien et de son alter-ego fictif, le cinéaste envisage Michael Keaton et commence d’ailleurs le tournage avec lui. Mais si le futur Batman de Tim Burton tire habilement son épingle du jeu, il ne colle pas à l’époque dans laquelle se déroule le film. Visiblement trop « moderne » dans son jeu, il est remercié et remplacé par Jeff Daniels. Le comédien qui s’illustrera plus tard dans Dumb et Dumber, Arachnophie et Pleasantville est de toute évidence le choix idéal, même s’il est alors très peu connu du public, malgré ses prestations dans Ragtime et Tendres passions. Pour le rôle féminin principal, pas d’hésitation : Allen choisit son actrice fétiche Mia Farrow, qu’il a déjà dirigée à trois reprises et qu’il fera tourner encore une dizaine de fois. Il confie même à sa jeune sœur Stephanie Farrow le rôle… de sa sœur à l’écran. Le temps d’une scène conçue comme un clin d’œil, les deux comédiennes évoquent le film Okay America dont le rôle principal est tenu par Maureen O’Sullivan, autrement dit leur propre mère.

Nous sommes en 1935, dans une Amérique frappée par la Dépression. Cecilia (Mia Farrow) gagne modestement sa vie dans un snack tandis que son mari chômeur Monk (Danny Aiello) se complait dans l’oisiveté, quand il ne court pas effrontément les jupons. Pour échapper à ce quotidien morose, Cecilia passe tout son temps libre au cinéma Jewel. C’est ainsi qu’elle regarde pour la cinquième fois consécutive La Rose pourpre du Caire, une aventure romantico-exotique joyeusement dépaysante. Mais au beau milieu de la cinquième séance, Tom Baxter, le héros explorateur de ce long-métrage désuet, la remarque parmi les autres spectateurs. Fasciné, il surgit de l’écran et lui déclare sa flamme. C’est donc à une traversée du miroir que nous convie Woody Allen. Sauf que dans le cas présent, c’est le « Pays des merveilles » qui s’invite dans le monde de l’héroïne, le temps d’un déchirement du voile de la réalité d’autant plus surprenant qu’il est traité avec naturalisme et sobriété, loin de tout effet spectaculaire. Dès lors, le film décrit en parallèle la romance impossible qui se tisse entre Cecilia et Tom Baxter et le désarroi de ses partenaires à l’écran. Coincés au milieu d’un scénario qui n’avance plus, ces derniers s’ennuient et désespèrent, au grand dam des spectateurs qui leur reprochent leur manque d’action. Et tandis que l’on s’affole du côté du studio qui a produit La Rose pourpre du Caire, Gil Shepherd, l’acteur qui incarne Tom à l’écran, intervient pour tenter de raisonner son clone fictif…

L’illusion ou la réalité ?

Particulièrement inspiré, Woody Allen explore toutes les possibilités offertes par ce scénario en perpétuel rebond, promenant sa caméra des deux côtés de ce miroir aux alouettes qu’est l’écran de cinéma. Le jeu du « poisson hors de l’eau » fonctionne à plein régime. Délicieusement candide, Tom Baxter croit que ses billets de banque sont réels, que les voitures roulent sans clé, que chaque baiser doit se terminer par un fondu au noir… Mais Cecilia a-t-elle raison de s’attacher à une illusion ? Ne devrait-elle pas choisir son âme sœur dans la réalité : revenir sagement auprès de son propre époux, voire s’envoler à Hollywood avec le séduisant acteur qui incarne Tom et qui vient lui conter fleurette ? Le symbole de l’illusion perdue prend à l’écran la forme de ce parc d’attraction abandonné où errent les amants impossibles (des séquences tournées dans le Parc Bertrand Island qui venait alors de fermer ses portes). Lorsque Tom est assis dans un train de Grand huit désespérément immobile, on sent bien que cette histoire est sans issue, que ce rêve n’appartient plus à notre monde. Guère optimiste face aux vicissitudes du quotidien, Woody Allen semble pourtant vouloir nous dire que c’est le seul monde possible, et qu’il faut l’accepter tel quel. En ce sens, chacun sera libre d’interpréter le final comme un dénouement triste ou heureux… Baignant son film dans cette ambiance jazz rétro qu’il affectionne tant, justifiée ici par le contexte historique et mise en musique par Dick Hyman, Woody Allen cite souvent La Rose pourpre du Caire comme son film le plus réussi. Nous serions tentés de lui donner raison. Il remportera le BAFTA du meilleur film et du meilleur scénario en 1985, puis le César du meilleur film étranger l’année suivante. Son trio d’acteurs vedettes se retrouvera en 1987 dans Radio Days.

 

© Gilles Penso

 

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