LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN (1988)

Interrompant une pièce théâtrale contant son histoire, le vrai Baron Munchausen emmène une petite fille dans de nouvelles aventures fantasmagoriques

THE ADVENTURES OF BARON MUNCHAUSEN

 

1988 – GB/ ALLEMAGNE

 

Réalisé par Terry Gilliam

 

Avec John Neville, Sarah Polley, Jonathan Pryce, Oliver Reed, Eric Idle, Uma Thurman, Charles Mc Keown, Jack Purvis, Winston Dennis, Robin Williams

 

THEMA CONTES

Le statut d’« original » de Terry Gilliam aura été à double tranchant durant toute sa carrière, sa singularité lui valant de se voir confier des projets qui tourneront au vinaigre lorsque les producteurs décideront immanquablement de le brider. Ce qui arriva pour la première fois sur Brazil en1985, dont le combat l’opposant au studio Universal fit couler autant d’encre que le film lui-même. Pas découragé pour autant, Gilliam accepta de signer avec Columbia pour son prochain délire, Les Aventures du Baron de Munchausen, qui peut justement se voir comme une allégorie sur le devoir des artistes de ne pas se soumettre aux doléances de l’intelligentsia. Si le film est librement adapté de la vie du personnage historique homonyme du 18ème siècle connu pour sa mythomanie (et ses précédentes transpositions cinématographiques), Terry Gilliam et Charles McKeown (déjà coscénaristes sur Brazil) en conservent les péripéties les plus iconiques, notamment sa chevauchée sur un boulet de canon, la danse avec Vénus et le périple sur la lune. Pour introduire le spectateur en douceur à cet univers faits d’affabulations et de vérités embellies, Gilliam adopte d’abord judicieusement le point de vue de la petite Sally (Sarah Polley, aux prémices de sa carrière), la fille d’un directeur de théâtre qui a justement monté un spectacle relatant les aventures du baron. Ce divertissement bien inoffensif offre aux habitants de la ville (au nom indéterminé), assiégée par les Turcs, un moyen d’échapper à l’horreur de leur quotidien. Au beau milieu de la représentation, le véritable Baron (John Neville) s’invite sur scène et entreprend de raconter sa version des faits : comment il a lui-même provoqué la guerre avec les Turcs et comment lui seul peut y mettre un terme. Devant un public incrédule, il promet de s’en aller retrouver ses anciens compagnons dont seules les forces conjuguées pourront repousser l’envahisseur : Berthold (Eric Idle), un homme si rapide qu’il est contraint de se déplacer avec des boulets enchaînés aux chevilles ; Adolphus (Charles McKeown), un tireur d’élite myope mais qui ne rate jamais sa cible quelle que soit la distance ; Gustavus (Jack Purvis), un homme de petite taille à l’ouïe hyperfine et au souffle digne d’une tornade ; Albrecht (Winston Dennis), un colosse capable de porter des charges infiniment lourdes.

Sa quête emmènera le Baron sur la Lune pour y rencontrer le Roi (Robin Williams, qui tourna gracieusement le rôle sans même en être crédité), dans un volcan pour y affronter le dieu Vulcain (Oliver Reed) et même dans le ventre d’une baleine. Décrire des personnages et des visions aussi folles est une chose : les représenter à l’écran est un tout autre défi… que Terry Gilliam et ses équipes remportent haut la main, tournant dans les studios d’Alméria en Espagne et Cinecittà en Italie. Le budget initial aura certes doublé (passant de 23 millions de dollars à 46) à cause des ambitions pharaoniques du réalisateur, semble-t-il peu enclin au compromis face aux réalités logistiques et financières de ses projets, mais à l’écran le résultat est rien moins que merveilleux. Il vaudra d’ailleurs au chef décorateur Dante Ferretti (connu auparavant pour son travail avec Pasolini et Fellini, puis Scorsese) une nomination à l’Oscar. Les décors du théâtre et de la ville notamment, d’une taille et d’un degré de finition hallucinants, sont particulièrement convaincants. Les plans avec miniatures s’avèrent tout aussi réussis, et l’alternance entre maquettes et décors grandeur nature offre un rendu à la fois sophistiqué et naïf qui sert parfaitement le propos de Gilliam, brouillant constamment la frontière entre réalité et fiction – ou mensonge. Ainsi, le Baron, pourtant un très vieil homme, se voit rajeunir de quelques dizaines d’années dès qu’il reprend les rênes de la narration. S’agit-il de nier les effets de l’âge et d’échapper à la mort ? Oui, littéralement. Car la Grande Faucheuse vient à plusieurs reprises tenter de lui ôter la vie. Plus largement, elle menace tous les habitants, se repaissant d’avance du carnage annoncé par la prise de la ville. Le Baron se pose donc un véritable trompe-la-mort, lui opposant la force de conviction de ses fantaisies, et construisant sa propre légende pour assurer sa postérité.

Un trop-plein d’idées géniales ?

Bien que visuellement somptueux, avec une trouvaille de mise en scène à la minute, et outre le fait que Columbia ait décidé de ne pas soutenir le film à sa sortie, l’insuccès du Baron de Munchausen peut paradoxalement s’expliquer par un trop-plein d’idées géniales (un comble !) et une certaine incapacité à lier tous ses éléments constituants. En effet, les séquences fantastiques (dans les deux sens du terme) s’enchainent de façon plus mécanique qu’organique : les personnages suivent le mouvement plutôt que de le provoquer, empêchant l’implication totale du spectateur qui doit à chaque nouvelle scène retrouver ses marques. Et si Sally était initialement présentée comme le point d’ancrage du film, Gilliam semble finalement plus s’intéresser au Baron, reléguant la fillette au second plan en la muant en figure passive, voire transparente. Elle incarne pourtant la raison d’être du film : l’innocence de l’enfance au milieu d’une guerre déclenchée par des rivalités entre adultes paradoxalement assez puériles, une vision du monde pleine de fantaisie et d’espoir face à la démission et au cynisme des adultes. Comme dans tout récit initiatique, la jeune héroïne se confronte également à la Mort par le truchement du Baron. Gageons que si le personnage de Sally avait été plus étoffé et identifié plus clairement comme vecteur principal de l’histoire, Les Aventures du Baron de Munchausen aurait pu séduire un plus large public. Néanmoins, en l’état, il s’agit sans aucun doute de la plus flamboyante réussite plastique et technique de son réalisateur, ce qui n’est pas peu dire. Et le fait que rien à l’écran ne trahisse les retards et les problèmes divers de la production constitue un miracle en soi.

 

© Jérôme Muslewski

 

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