LES SORCIÈRES D’EASTWICK (1987)

Un diable facétieux incarné par Jack Nicholson sème le trouble dans la vie de trois jeunes femmes, sous la direction inspirée de George Miller

THE WITCHES OF EASTWICK

 

1987 – USA

 

Réalisé par George Miller

 

Avec Jack Nicholson, Susan Sarandon, Cher, Michelle Pfeiffer, Veronica Cartwright, Richard Jenkins, Keith Jochim, Carel Struycken

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I DIABLE ET DÉMONS

Après trois Mad Max quasi-consécutifs, momentanément interrompus en 1983 par la réalisation d’un segment de La Quatrième dimension le film, George Miller décide de changer de registre tout en restant attaché au fantastique. Il se lance donc dans la réalisation des Sorcières d’Eastwick, adaptation d’un roman écrit par John Updike en 1984. Sous la plume du scénariste Michael Cristofer (Falling in Love, Le Bûcher des vanités), l’intrigue a été ramenée des années soixante à un cadre plus contemporain (la fin des années 80 donc) et les séquences les plus sombres du roman ont été élaguées pour mieux se conformer à un spectacle grand public. Si Anjelica Houston était pressentie pour incarner l’une des trois sorcières du titre, elle cède sa place à Cher, à l’affiche la même année d’Éclair de Lune et Suspect dangereux, mais conseille à son petit-ami de l’époque de postuler pour le rôle masculin principal. Or le petit-ami en question n’est autre que Jack Nicholson. Même si le personnage qu’il incarne était initialement prévu pour Bill Murray, il est aujourd’hui difficile d’imaginer quelqu’un d’autre que la star de Shining dans la peau de l’outrancier Daryl Van Horne. À la tête de sa première production hollywoodienne (si l’on excepte la parenthèse de La Quatrième dimension), George Miller bénéficie d’un confortable budget de 22 millions de dollars (environ deux fois plus que pour Mad Max : au-delà du dôme du tonnerre) et installe ses caméras pendant six semaines dans le Massachusetts.

Dans la petite ville balnéaire d’Eastwick, trois amies célibataires s’ennuient en rêvant de l’homme idéal qui saura égayer la morosité de leur quotidien. Il s’agit d’Alex (Cher), sculptrice et veuve, Sukie (Michelle Pfeiffer), journaliste abandonnée par son mari avec six enfants sur les bras, et Jane (Susan Sarandon), violoncelliste qui vient de divorcer. L’arrivée inopinée du mystérieux Daryl Van Horne, fraichement débarqué de New York, bouleverse la petite communauté. Accompagné d’un serviteur géant et muet qui répond au nom de Fidel (Carel Struycken), il vit dans le luxe, déborde d’excentricité, ne mâche pas ses mots, bref brise la monotonie gentiment harmonieuse de la petite bourgade. Une à une, il entreprend de séduire les trois amies en laissant deviner sa nature diabolique. À Alex qui lui demande qui il est réellement, il répond : « Juste un petit diable en rut ». À Jane qui s’interroge sur sa personnalité, il déclare : « J’ai une constitution surnaturelle ». Fauteur de trouble, Daryl finit par semer la discorde au sein du trio inséparable, ce conflit éclatant au cours d’une partie de tennis mémorable où la balle finit par n’en faire qu’à sa tête (grâce aux effets visuels impeccables d’ILM qui la remplacent dans quasiment tous les plans). Puis ce sont carrément Alex, Susan et Sukie qui se soustraient aux lois de la pesanteur en prenant leur envol au-dessus d’une piscine. Irrésistible en dépit – ou à cause – de ses exubérances, Daryl redonne aux trois femmes de la confiance, de l’autonomie et du pouvoir. À ce titre, le changement physique de Susan Sarandon s’avère spectaculaire. Curieusement, aucune d’elles ne se met en quête d’une quelconque explication rationnelle pour justifier tous ces phénomènes paranormaux. « Il se passe des choses singulières parce que le monde est singulier » se contente de constater Sukie sous le charme.

Le diable au corps

La seule habitante d’Eastwick à comprendre que le Mal avec un grand M est en train de s’insinuer parmi les habitants est Felicia, une femme bigote et autoritaire campée par Veronica Cartwright (Les Oiseaux, Alien). Possédée par une sorte de folie zélée depuis une mauvaise chute, elle compare Van Horne au serpent venu perturber le jardin d’Eden, hurle des insanités puis vomit des kilos de noyaux de cerise au cours d’une scène effrayante qui n’aurait pas dépareillé dans L’Exorciste. D’autres passages du film font virer la rêverie au cauchemar lorsque notre diable d’homme retourne contre les trois héroïnes leurs phobies (la vieillesse, les serpents et la douleur). En très grande forme, Nicholson livre là l’une de ses performances les plus mémorables (ses scènes de colère sont des morceaux d’anthologie) qu’il prolongera en quelque sorte pour camper le Joker de Batman. La mise en scène élégante de George Miller a du style et du caractère, exprimant bien des fois une virtuosité discrète, comme par exemple lorsque la caméra suit en plan-séquence nos héroïnes après un concert. Chaque habitant, au moment précis où il entre dans le champ, lâche une phrase interrogative liée à Van Horne, construisant une rumeur composite dont chaque pièce du puzzle devient complémentaire. La finesse des dialogues, la précision des comédiens et la méticulosité du travail de Miller se mêlent en une alchimie miraculeuse. Cerise sur le gâteau, la très belle musique de John Williams se met au diapason, traduisant tour à tour la légèreté, le mystère, le suspense et l’inquiétude. Plusieurs de ces motifs ressurgiront dans les bandes originales de Hook et Harry Potter. Sans doute le final des Sorcières d’Eastwick est-il trop grandiloquent, s’appuyant plus que de raison sur les effets spectaculaires (avec en prime un « monstre-Nicholson » animatronique conçu par Rob Bottin), sans pour autant rompre le charme de cette œuvre unique qui se bonifie au fil des ans.

 

© Gilles Penso

 

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