LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS (1986)

L’adaptation de la comédie musicale elle-même tirée du film éponyme de Roger Corman, dans laquelle une plante carnivore se nourrit de sang humain…

LITTLE SHOP OF HORRORS

 

1986 – USA

 

Réalisé par Frank Oz

 

Avec Rick Moranis, Ellen Greene, Steve Martin, John Candy, Bill Murray, Vincent Gardenia, Jim Belushi

 

THEMA VÉGÉTAUX

Une petite précision pour commencer : La Petite boutique des horreurs de Frank Oz n’est pas simplement le remake du film fauché aujourd’hui légendaire de Roger Corman mais l’adaptation de la comédie musicale qu’en tirèrent Howard Ashman et Alan Menken en 1982. Dans le sillage de The Rocky Horror Picture Show, le duo s’empare de son postulat de série Z pour en tirer un spectacle écrit et orchestré avec toute la rigueur requise pour un show de Broadway – bien qu’il s’agisse d’une production indépendante. Suite au succès sur les planches, David Geffen propose à son ami Steven Spielberg (ils seront plus tard associés à la tête de Dreamworks) de co-produire une adaptation pour le grand écran réalisée par Martin Scorsese. L’idée fait long feu et c’est Frank Oz qui hérite du projet. Son expérience avec les marionnettes n’est plus à prouver (Le Muppet Show, Dark Crystal ou Yoda dans L’Empire contre-attaque), d’autant que les Muppets de Jim Henson passaient la moitié de leur temps à chanter et danser. Si le show reste fidèle au film original, l’inclusion de chansons et sa réécriture pour la scène en approfondissent et améliorent très nettement ses thématiques. De choix dictés uniquement par un souci d’économie et de pragmatisme, le scénario de Howard Ashman évolue en une peinture désabusée des quartiers populaires de New-York. La chanson « Skidrow » évoque un quotidien morne et sans perspective où chacun exprime (en chantant donc) son envie d’échapper à sa condition. Et si Frank Oz se permet de sortir sa caméra de la boutique qui constituait l’unique décor de la pièce, il n’abuse pas de la liberté offerte par le cinéma, confinant son petit monde dans un impressionnant décor de rue érigé dans les studios Pinewood en Angleterre. Il filme les murs délabrés, les détritus et les flaques nauséabondes sur les pavés accidentés.

Bien qu’il ne s’agisse pas pour autant d’une chronique sociale à la Ken Loach, Ashman fait de Seymour Krelborn (Rick Moranis) un anti-héros du petit peuple, mal dans sa peau, hébergé par son patron M. Mushnik (Vincent Gardenia) dans le sous-sol de leur boutique de fleurs. Les affaires sont justement loin d’être florissantes, jusqu’à ce que Seymour découvre une espèce inconnue de plante carnivore qui va attirer de plus en plus de curieux. Amoureux sans l’avouer d’Audrey (Ellen Greene, l’unique transfuge du show), il baptise sa trouvaille « Audrey II ». Mais la plante lui fait comprendre qu’elle a besoin de sang humain pour grandir. La Petite boutique des horreurs propose une dizaine de chansons, que Frank Oz filme avec une maestria et une fluidité rares, dosant parfaitement ses effets de mise en scène. Les chansons, dans un style rock 60’s imparable (avec Bob Gaudio à la production, connu pour son travail avec les Four Seasons entre autres) ne jouent jamais la carte de la parodie, laissant les personnages exprimer leurs joies et leurs peines. Au-delà des frissons de bonheur et d’excitation que provoquent la plupart des numéros face à tant de talent à l’œuvre, on retiendra aussi la très émouvante séquence (car d’une tristesse dont le personnage n’a pas conscience) durant laquelle Audrey chante son envie d’une vie « parfaite » de ménagère dans une ville de banlieue américaine, avec ses réunions Tupperware, ses robots-ménagers et ses plateaux-repas pour les soirées télé en famille.

La fleur du mâle

Alors que Roger Corman se contentait de meubler sa petite heure de métrage avec une galerie de personnages pittoresques, Howard Ashman (principal maitre d’œuvre sur le scénario et les paroles alors qu’Alan Menken se focalise sur la musique) présente Seymour comme un jeune homme emprunté et gauche, dont l’obsession pour Audrey et la pulsion meurtrière qu’elle entrainera sont symbolisées par Audrey II, qu’il nourrit d’abord de son propre sang avant de lui offrir en pâture le petit ami violent de la première : le dentiste sadique Orin, rôle incarné par Jack Nicholson dans l’original et repris ici par Steve Martin dans une séquence tout bonnement anthologique. Si certains ont perçu dans les échanges de sang une allusion au virus du SIDA auquel Howard Ashman succombera en 1991, on peut surtout voir en Audrey II (un orifice denté) une illustration Freudienne des peurs refoulées de Seymour à l’encontre du beau sexe. Apparaissant tout d’abord comme un brave type inoffensif, sa caractérisation évoque tout autant le parfait psychopathe, de ceux à qui les voisins donneraient le bon dieu sans confession. La tonalité noire, satirique et limite dépressive du film amena d’ailleurs Geffen et la Warner à faire remplacer la fin initialement tournée, suite au résultat des projections-test au cours desquels les spectateurs décrochaient durant la dernière bobine : Audrey et Seymour y finissaient mangés par Audrey II qui, atteignant une quarantaine de mètre de haut, s’en allait semer la destruction et la mort dans New-York tel Godzilla. Oz dut ainsi jeter aux orties une magnifique séquence d’effets miniatures pour offrir un « happy-end » plus réconfortant. Sauf que la nouvelle conclusion écrite par Ashman, à priori un sérieux compromis artistique, a le gout d’un bonbon au poivre : voir Audrey et Seymour emménager dans la maison de banlieue dont elle rêvait tient-il du conte du fée ou du cauchemar ? La fin originale correspond bien mieux à la personnalité d’Howard Ashman, dont les thèmes de la réussite par le mensonge et de la corruption de l’âme par la popularité resurgiront dans les productions Disney dont il fut l’une des influences créatives majeures : La Petite sirène, La Belle et la Bête et Aladdin.

 

© Jérôme Muslewski

 

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