ANTICHRIST (2009)

Lars Von Trier filme la descente aux enfers d’un couple endeuillé incarné par Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe

ANTICHRIST

 

2009 – DANEMARK / FRANCE / SUÈDE / ALLEMAGNE / ITALIE / POLOGNE

 

Réalisé par Lars Von Trier

 

Avec Charlotte Gainsbourg, Willem Dafoe, Storm Acheche Sahlstrøm

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Lorsqu’il s’attaque au tournage d’Antichrist, Lars Von Trier sort tout juste d’un séjour dans un institut psychiatrique suite à une grave dépression. C’est donc dans un état mental très particulier qu’il tourne ce qui va s’avérer être le premier volet d’une « trilogie de la dépression », les deux suivants étant Melancholia et Nymphomaniac. Si sa volonté, à travers Antichrist, est de réaliser un film d’horreur dans les règles de l’art, il est évident que son approche est résolument anticonformiste. Il tient cependant à rendre hommage à un cinéaste particulier, auquel le film est dédié : Andrei Tarkovsky. Plusieurs références visuelles au réalisateur russe seront d’ailleurs repérables au fil du métrage. Antichrist s’ouvre sur un prologue choc, dans un noir et blanc somptueux au ralenti, sur fond d’un opéra d’Handel. Von Trier abandonne donc le hideux format vidéo de son dogme pour revenir à l’approche hyper-esthétique de ses travaux des années 80 (Element of Crime, Europa). Tandis qu’Eros et Thanatos s’entremêlent en un troublant adagio, le cinéaste nous annonce à travers quelques plans savamment choisis qu’il ne fera aucune concession et ne s’embarrassera pas de tabous. Le sexe et la mort nous sont exposés sans entraves.

Après cette entrée en matière posant les premiers jalons du drame, Antichrist se structure autour d’un découpage en quatre parties bien distinctes. Le premier chapitre se titre sobrement « deuil ». Après la mort de son fils Nic, la femme sans nom incarnée par Charlotte Gainsbourg entre dans une profonde dépression. Son époux thérapeute (Willem Dafoe) essaie de la soigner à domicile. Là, le cinéaste adopte une rupture de style, comme s’il revenait provisoirement au « dogme ». La caméra est portée, le montage favorise les jump cuts, l’éclairage se contente des sources de lumière naturelles, les reports de mise au point sont approximatifs. Quelques plans insolites, où la terreur prend racine dans les détails les plus banals, évoquent certains travaux de David Lynch. Peu à peu, Antichrist prend les allures d’un drame humain filmé comme un film d’horreur. C’est ce que confirme le second chapitre, « douleur », dans lequel le couple brisé part se réfugier dans un chalet perdu dans la forêt qui n’a rien à envier à la cabane d’Evil Dead. D’autant que les glands des arbres n’en finissent pas de tomber sur le toit, rythmant lugubrement le séjour du couple. Dans cet « eden » pas vraiment paradisiaque, tous deux sont frappés de visions. Tandis qu’elle entend la voix de son enfant dans les bois, lui voit des animaux au comportement étrange, dont un renard qui lui déclare : « le chaos règne ».

Le chaos règne

C’est le chapitre 3, titré « désespoir », qui contient les séquences les plus crues et les plus intenses du film, celles qui lui valurent plusieurs démêlées avec la censure. Le malaise monte d’un cran lorsque l’époux découvre dans le grenier une thèse inachevée de son épouse, prouvant la malignité du sexe féminin au fil des âges. « Les femmes ne contrôlent pas leur corps, c’est la nature », peut-on y lire. Là, tout bascule vers un point de non-retour. Il y a d’abord cette séquence impensable où Charlotte Gainsbourg se masturbe en pleine forêt, puis cette éprouvante scène de la grange où le sexe et le sang s’entremêlent atrocement. Ou encore l’invraisemblable séquence des ciseaux, qui servira de base visuelle à l’un des posters anglo-saxons du film. Après ce rollercoaster émotionnel et viscéral, Antichrist s’achemine vers son ultime chapitre, « les trois mendiants ». Lars Von Trier aurait-il signé là un film misogyne, bêtement provocateur, vide de sens ? Il faut surtout y voir une sorte de thérapie étrange, l’exorcisation sur grand écran de sa propre dépression. Une descente aux enfers où la folie supplante la raison, ou l’autodestruction mène au nihilisme. « Tout ça ne sert à rien » dira Charlotte au cours de la dernière partie du film. Certains pourront estimer que cette phrase qualifie le film tout entier. Les autres auront du mal à se remettre de ce cauchemar éprouvant. En lisant le générique de fin, on découvre le listing d’une armada de consultants : en misogynie, en mythologie, en théologie, en thérapie, en angoisse, et même en films d’horreur !

 

© Gilles Penso

 

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