KANDISHA (2020)

Trois amies réveillent une créature ancestrale et maléfique qui s’emploie aussitôt à semer la mort autour d’elles

KANDISHA

 

2020 – FRANCE

 

Réalisé par Alexandre Bustillo et Julien Maury

 

Avec Mériem Sarolie, Walid Afkir, Suzy Bemba, Bakary Diombera, Sandor Funtek, Félix Glaux-Delporto, Dylan Krief, Mathilde Lamusse, Nassim Lyes

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Et si une version féminine et nord-africaine du croquemitaine de Candyman s’installait dans les décors de La Haine pour déclencher un massacre en série sous les yeux de trois jeunes héroïnes désemparées ? Telle pourrait être l’accroche de Kandisha, le cinquième long-métrage de l’infatigable duo Alexandre Bustillo et Julien Maury. Après l’expérience frustrante d’une franchise hollywoodienne phagocytée par des producteurs peu enclins aux idées neuves, nos duettistes laissent Leatherface derrière eux et regagnent leurs pénates pour inscrire leur nouveau récit horrifique dans un cadre cette fois-ci typiquement français. Nous voici donc dans une banlieue qu’on imagine parisienne, au beau milieu d’une troupe turbulente et rafraîchissante de jeunes acteurs qui nous séduisent d’emblée par leur spontanéité, leur justesse et leur énergie. Loin des clichés habituellement associés aux banlieusards en jogging et capuche, Maury et Bustillo posent un regard tendre et bienveillant sur leurs personnages. Ils sont drôles, complices, à fleur de peau, un peu perdus, parfois agressifs… Mais surtout humains, avec tout ce que ça comporte de faiblesses et de failles. Kandisha dure à peine une heure et demie. Pour autant, le film prend son temps pour nous présenter ses protagonistes, leur cadre de vie, leur environnement et leurs problèmes personnels avant de déclencher le drame.

Le récit s’intéresse tout particulièrement à un trio de jeunes femmes dont la diversité d’origine semble avoir davantage noué les liens (un peu comme les trois héros de La Haine, pour revenir au classique de Matthieu Kassovitz qui, c’est vrai, nous revient parfois à l’esprit au cours du premier tiers de Kandisha). Il y a Amélie (Mathilde Lamusse), qui vit une relation conflictuelle avec son père et protège son petit frère sous les yeux un peu passifs d’une mère visiblement dépassée par les événements ; Bintou (Suzy Bemba), qui vient de s’installer dans une partie plus résidentielle du quartier avec son père ouvrier et supporte mal les quolibets de ses amies qui la traitent de « bourgeoise » ; et Morjana (Samarcande Saadi), qui vit avec son frère après la mort de leurs parents et travaille à l’hôpital pour gagner de quoi les faire vivre. Le décor est planté, l’intrigue peut avancer d’un cran. Un soir, alors que toutes trois se retrouvent comme souvent pour recouvrir de graffitis des murs déjà saturés de dessins, Morjana évoque la légende d’Aïsha Kandisha, un esprit féminin et vengeur qui survient lorsqu’on l’invoque. S’ensuivent les éclats de rires et les boutades. Personne ne prend bien sûr cette histoire au sérieux. Mais lorsqu’Amélie est violemment agressée par son ex-petit ami Farid qui manque de la violer, elle rentre chez elle traumatisée et, dans un élan de fureur, appelle de ses prières la venue d’Aïsha Kandisha. Le bain de sang ne saura tarder…

Aïsha, écoute-moi !

La légende urbaine que convoque le film s’appuie sur un mythe folklorique marocain bien réel, celui d’une jeune femme d’une grande beauté qui aurait lié son esprit vengeur à un Djinn malfaisant après avoir été torturée et tuée pendant la colonisation portugaise du 18ème siècle… C’est donc une sorte d’équivalent nord-africain de la fée Carabosse ou de la Dame Blanche. Si Kandisha évoque Candyman (le film de Bernard Rose est évoqué sans être cité et plusieurs motifs visuels et narratifs s’y réfèrent ouvertement, sans compter l’homonymie des deux premières syllabes), Maury et Bustillo s’éloignent de cette influence assumée pour bâtir leur propre mythologie avec une minutie d’orfèvre. La mise en scène est ciselée, la photographie de Simon Roca somptueuse, la musique de Raf Keunen envoûtante et le montage de l’indéboulonnable Baxter d’une redoutable efficacité. Quant à ce croquemitaine féminin inédit, il est à géométrie variable, passant de la mystérieuse silhouette voilée à la belle ogresse au regard noir en passant par des formes hybrides et surdimensionnées beaucoup plus inquiétantes. Comme toujours chez Bustillo et Maury, les mises à mort sont brutales, douloureuses et sanglantes, s’appuyant sur les effets spéciaux toujours impeccables de l’atelier CLSFX d’Olivier Afonso. Une très belle surprise, donc, présentée en avant-première au Festival du Film Fantastique de Sitges en octobre 2020 avant une sortie mondiale en VOD en été 2021. Entre-temps, les deux réalisateurs auront eu le temps de se lancer dans l’aventure The Deep House.

 

© Gilles Penso

 

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