BODY SNATCHERS (1993)

Abel Ferrara propose sa propre version d’un classique de la science-fiction déjà mis en scène par Don Siegel et Philip Kaufman…

BODY SNATCHERS

 

1993 – USA

 

Réalisé par Abel Ferrara

 

Avec Terry Kinney, Meg Tilly, Gabrielle Anwar, Reilly Murphy, Billy Wirth, Christine Elise, Forest Whitaker, R. Lee Ermey, Meg Tilly

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Le roman « Invasion of the Body Snatchers » de Jack Finney avait déjà fait l’objet de deux remarquables adaptations complémentaires considérées toutes deux comme des classiques du genre : L’Invasion des profanateurs de sépulture de Don Siegel et L’Invasion des profanateurs de Philip Kaufman. Une nouvelle version était-elle utile ? Le film de Siegel s’inscrivant dans une paranoïa liée à la guerre froide et celui de Kaufman dans un désenchantement successif à la guerre du Vietnam, une relecture du même thème au lendemain de la Guerre du Golfe pouvait s’avérer intéressante. De fait, l’intrigue change de cadre, s’éloignant des maisons de banlieue ou des appartements pour se transporter sur une base militaire. Stuart Gordon et Dennis Paoli, qui écrivirent à quatre mains Re-Animator et From Beyond, sont en charge du scénario, s’appuyant sur une histoire de Raymond Cistheri et Larry Cohen. Charge à ces quatre auteurs d’inventer de nouveaux personnages pour les adapter à un cadre différent de celui décrit dans le roman original. Au départ, Gordon est censé réaliser le film. Mais plusieurs changements dans la production bouleversent les plans initiaux et c’est finalement Abel Ferrara qui hérite de la mise en scène. Un choix qui peut sembler singulier, puisque ce réalisateur résolument indépendant, qui vient alors de signer le sulfureux Bad Lieutenant, ne semble en phase ni avec la science-fiction, ni avec les contraintes d’un film de studio. Le voilà pourtant à la tête de Body Snatchers, ce qui entraîne l’ajout d’un scénariste additionnel avec lequel il a l’habitude de collaborer : Nicholas St John.

Accompagné de sa fille Marty (Gabrielle Anwar), de sa seconde femme Carol (Meg Tilly) et de leur fils Andy (Reilly Murphy), le scientifique Steve Malone (Terry Kinney), qui travaille pour l’agence pour la protection de l’environnement, débarque dans une base militaire d’Alabama pour contrôler un dépôt de produits toxiques. L’isolement dans le camp ne facilite pas la consolidation de cette cellule familiale déjà fragile. Pendant que Steve se livre aux analyses, le major Collins (Forest Whitaker) lui fait part de ses inquiétudes envers le comportement étrange de quelques soldats. Marti elle aussi doute de la lucidité de plusieurs militaires. La première journée de maternelle d’Andy se terminant par une séance de dessin traumatisante, la tension monte d’un cran. Que se passe-t-il vraiment dans les coulisses de cette base où le secret militaire semble être un prétexte bien pratique pour masquer des activités très inquiétantes ?

La nuit de la métamorphose

Quand on sait quelle conjonction de talents s’est réunie pour écrire le scénario de Body Snatchers, on est surpris par le manque de rigueur, d’ambition et de cohérence du résultat final. Le choix d’un site militaire comme cadre du récit atténue déjà largement le propos. Faire surgir cette invasion extraterrestre insidieuse en pleine ville, au milieu de personnages ordinaires, avait bien plus d’impact que dans un lieux auquel il est logiquement plus difficile de s’identifier. D’autant que la différence de comportements des militaires avant ou après leur remplacement par des entités venues d’ailleurs n’est pas flagrante. Leurs gestes robotiques et leur inexpressivité restent quasiment identiques. Pour contrer ce script qui patine et se développe avec difficulté, Abel Ferrara sort le grand jeu : cadres minutieusement composés en Cinemascope, superbe photographie privilégiant les crépuscules et les contre-jours, décadrages et bascules de la caméra renforçant le sentiment d’anormalité et de malaise… Mais cette mise en scène reste distante, tournant autour des personnages sans totalement s’en approcher, creusant de fait un fossé entre les spectateurs et l’action. La réalisation et le scénario souffrent finalement du même syndrome : une absence de point de vue. Restent quelques moments forts, qu’il faut principalement attribuer au créateur d’effets spéciaux Tom Burman (déjà en charge des effets de la version de Kaufman). Pour la première fois, nous assistons de manière détaillée au phénomène qui précède la duplication des humains, à travers cette vision perturbante d’embryons se formant à l’intérieur d’une cosse végétale. La scène où surviennent ces effets pour la première fois semble faire écho aux Griffes de la nuit, puisque le jeune héroïne s’endort dans son bain, un casque sur les oreilles, tandis que la menace surgit de l’eau pour l’entraîner dans le cauchemar. Wes Craven s’étant lui-même inspiré de L’Invasion des profanateurs de sépultures pour le leitmotiv « Ne dormez pas ! », la boucle est bouclée. Quelques autres passages mémorables ponctuent le film (la scène de la garderie, le craquage de Forest Whitaker, l’évanescence troublante de Meg Tilly), mais Body Snatchers ne décolle jamais et s’achève sur un climax frustrant expédié avec quelques explosions, trois fondus enchaînés et un morceau de voix off.

 

© Gilles Penso

 

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