BENEDETTA (2021)

Un Jésus barbare, des serpents géants, une comète, une épidémie de peste, une relation saphique et un scandale politique… Paul Verhoeven est en très grande forme !

BENEDETTA

 

2021 – FRANCE / BELGIQUE / HOLLANDE

 

Réalisé par Paul Verhoeven

 

Avec Virginie Efira, Charlotte Rampling, Daphné Patakia, Lambert Wilson, Olivier Rabourdin, Louise Chevillotte, Clotilde Courau, David Clavel, Hervé Pierre

 

THEMA DIEU, LES ANGES, LA BIBLE

Sur un rythme beaucoup moins soutenu qu’à l’époque où il œuvrait pour Hollywood, Paul Verhoeven se construit une troisième partie de carrière passionnante, profitant de son retour en Europe pour s’octroyer une liberté de ton rafraîchissante. Après Black Book et Elle, il s’intéresse au livre de Judith C. Brown « Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne ». Derrière ce titre un tantinet racoleur se cache l’histoire vraie d’une religieuse italienne du XVIIème siècle, Benedetta Carlini, arrêtée et jugée pour sa relation amoureuse avec une autre nonne. Les producteurs Saïd Ben Saïd, Michel Merkt et Jérôme Seydoux se lancent dans cette aventure cinématographique peu orthodoxe à laquelle se joint une Virginie Efira plus impliquée que jamais. En se mettant à nu (dans tous les sens du terme, et sans aucune retenue), la comédienne révèle une facette de son talent que la grande majorité de sa filmographie précédente ne laissait guère transparaître. Sans doute lui fallait-il un metteur en scène de la trempe de Paul Verhoeven pour s’épanouir pleinement sur l’écran et donner le meilleur d’elle-même. Si le réalisateur de Basic Instinct aborde sans fard la relation homosexuelle qui lie Benedetta et sœur Bartolomea (Daphné Patakia), avec la crudité et la frontalité que nous lui connaissons, là n’est pas le seul ressort dramatique du film. Car cette liaison blasphématoire est l’épicentre d’un scandale aux multiples facettes, qui se répercute jusqu’aux plus hautes instances de l’Église. D’autant que Benedetta se dit habitée par Jésus, d’où une succession de phénomènes surnaturels de plus en plus déconcertants.

Dès son entame, Benedetta prend bien soin d’annoncer : « Cette histoire est inspirée de faits réels ». Mais Verhoeven se plaît à brouiller les cartes, alternant les séquences réalistes et celles flottant dans une irréalité onirique jusqu’à ce qu’il devienne difficile de faire la part des choses. « Comment puis-je savoir ce qui est vrai et ce qui est faux ? » dira d’ailleurs Benedetta en se confessant. Car la nonne, portée par une foi religieuse intense depuis son plus jeune âge, voit des signes divins partout. Parfois, ce sont peut-être de simples coïncidences, comme cet oiseau qui surgit à point nommé pour déféquer sur un voleur au moment où elle invoque la Sainte Vierge, ou cette statue de Marie qui s’effondre alors qu’elle vient de s’adresser à elle. D’autres fois, ce sont des visions troublantes mettant en scène Jésus. Berger, il l’attire vers elle. Armé d’un glaive, il pourfend les trois serpents géants qui menaçaient de la tuer. Sur sa croix, il lui ordonne de se dévêtir pour s’accoupler à lui. Devenu un hideux barbare, il la sauve d’hommes qui voulaient abuser d’elle pour la violenter lui-même. Les choses prennent une tournure plus déstabilisante lorsque Benedetta affiche les stigmates du Christ – les mains et les pieds troués, le flanc et le front ensanglantés – puis se met à gronder avec une voix masculine de possédée. « J’ai été abusée par le diable », dit-elle à Batolomea.

L'horizon du possible

À plusieurs reprises, l’hypothèse que Benedetta soit une simulatrice est évoquée. Mais le doute subsiste en permanence. L’arrivée de cette comète embrasant les cieux qui précède un drame sanglant puis une épidémie de peste serait-elle aussi le fruit d’un étrange hasard ? Le fait que la ville de Pescia soit la seule de la région épargnée par le fléau n’est-il pas déconcertant ? De fait, même si les faits narrés sont réels, le prisme choisi par Verhoeven autorise sans cesse une lecture fantastique où les miracles pourraient s’inviter sans nécessiter de justification rationnelle. « Apparemment ce couvent n’a cessé d’élargir l’horizon du possible » déclare à ce titre Lambert Wilson, parfait dans le rôle d’un nonce cynique adepte de la torture. À ses côtés, Charlotte Rampling excelle en mère supérieure austère et sèche comme une trique. Tous deux représentent l’autorité religieuse dans ce qu’elle a de plus rigide, sans se départir au passage de petits arrangements très triviaux (les négociations financières lorsqu’une fille entre au couvent, les répercussions politiques de cette affaire). Bien des fois, Benedetta nous évoque Les Diables de Ken Russell qui, lui aussi, abordait sans concession les sujets de l’intolérance au nom de Dieu et des préjugés de l’Église vis-à-vis de la sexualité. La réponse qu’apporte Verhoeven en fin de métrage est finalement toute simple : deux corps dénudés, face à la caméra, qui s’exposent sans pudeur ni censure, offrant au spectateur la possibilité de lever le voile sur ses propres inhibitions pour accepter l’autre dans le plus simple appareil.

 

© Gilles Penso

 

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