DOS (2021)

Un homme et une femme qui ne se connaissent pas se réveillent dans un lit, entièrement nus et cousus l’un à l’autre par l’abdomen…

DOS

 

2021 – ESPAGNE

 

Réalisé par Mar Targanora

 

Avec Marina Gatell, Pablo Derqui, Kanido Uranga, Anna Chincho Serrano, Esteban Galilea

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE

Mar Targanora est une productrice et réalisatrice éclectique. Après avoir dirigé la comédie Mor Vida Meva, le thriller Secuestro et le biopic Le Photographe de Mauthausen, elle s’attaque à Dos, un film-concept à cheval entre le mystère, le suspense et l’horreur organique. Tout commence par le très gros plan d’un œil qui s’ouvre. Agrémentée de discrets effets sonores humides, l’image est déjà inconfortable dans la mesure où elle impose aux spectateurs une trop forte proximité avec un corps humain. Or tel est justement le principe de Dos : l’intimité physique forcée entre deux personnages qui ne se connaissent pas. Sara (Marina Gatell, vue dans la romance J’ai failli te dire je t’aime) se réveille dans une chambre d’hôtel. Elle est allongée dans un lit, entièrement nue, aux côtés d’un homme qu’elle n’a jamais vu de sa vie, David (Pablo Derqui, à l’affiche des Yeux de Julia). Celui-ci s’éveille à son tour, dénudé lui aussi, et semble aussi déconcerté qu’elle. Passée la surprise et un moment bien naturel de panique, tous deux essaient de s’éloigner l’un de l’autre. Mais c’est impossible : leurs corps sont cousus par l’abdomen !

L’horreur absurde de ce postulat sert de point de départ à un huis-clos implacable co-écrit par Cuca Canals (La Femme de chambre du Titanic), Christian Molina (I Want to be a Soldier) et Mike Hostench (La Malédiction des profondeurs), sur une idée initiale de Daniel Padro. Comprenant bien vite qu’il leur est impossible de se séparer sans provoquer des dommages physiques irrémédiables, ces deux personnes que tout sépare – et qui sont justement devenues inséparables, d’où la cruelle ironie de leur situation – vont devoir passer outre la contigüité très inconfortable de leurs corps pour tenter de s’échapper. Bien sûr, la pièce est fermée et le téléphone ne fonctionne pas. S’ils comprenaient dans quels draps ils se sont fourrés, peut-être pourraient-ils se tirer d’affaire. Sont-ils victimes d’un savant fou émule du médecin de The Human Centipede ? Un mari jaloux a-t-il décidé d’exercer sur eux une épouvantable vengeance ? S’agit-il d’un kidnapping tordu ? Aucune théorie ne semble tenir la route. Sara et David cherchent alors des indices dans la pièce qui pourraient les mettre sur la voie…

L’esthétique de l’horreur

Dos est donc une sorte d’« escape game » d’un genre très spécial qui, malgré les apparences, ne concourt pas du tout dans la même catégorie qu’un Cube ou un Saw. L’implication du spectateur est immédiatement acquise, dans la mesure où aucun autre point de vue que celui des deux protagonistes ne lui est offert. Comme eux, il cherche la clé de l’énigme et serre les dents chaque fois que leurs corps s’éloignent de quelques centimètres, provoquant des douleurs manifestes. La manière dont les comédiens donnent de leur personne force le respect. On imagine sans difficulté la complexité et le désagrément d’un tel tournage, nécessitant un incontestable abandon de soi et une confiance totale dans la réalisatrice. Celle-ci parvient à jouer habilement avec la lumière, les cadrages et la chorégraphie des comédiens afin de cacher leur nudité frontale. Certes, certaines positions des personnages semblent impossibles, comme si leur fusion chirurgicale était à géométrie variable. Mais la plupart du temps, leur « assemblage » est crédible, presque palpable. Dos s’achemine vers une chute un peu excessive mais qui possède sa propre logique, proche d’une certaine manière des univers de David Cronenberg, jusqu’à une image finale d’une troublante beauté où, soudain, l’horreur devient incroyablement esthétique.

 

© Gilles Penso


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