LA CHOSE D’UN AUTRE MONDE (1951)

Le producteur Howard Hawks et le réalisateur Christian Nyby racontent le surgissement d’une entité extra-terrestre dans une base du Pôle Nord…

THE THING FROM ANOTHER WORLD

 

1951 – USA

 

Réalisé par Christian Nyby (et Howard Hawks non crédité)

 

Avec Kenneth Tobey, Margaret Sheridan, Robert Cornthwaite, Douglas Spencer, James R. Young, Dewey Martin, James Arness

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I VÉGÉTAUX

Entre la comédie guerrière Allez coucher ailleurs ! et le western La Captive aux yeux clairs, Howard Hawks s’adonne à la science-fiction en produisant La Chose d’un autre monde, adaptation de la nouvelle « Who Goes There ? » que John W. Campbell Jr. publia en 1938 sous le pseudonyme de Don A. Stuart. Hawks confie la mise en scène à son monteur Christian Nyby, qui fait là ses débuts derrière la caméra. Quoique la répartition des rôles ait toujours laissé planer un certain doute, beaucoup affirmant que le véritable réalisateur du film était Hawks. Cette ambiguïté – qui n’est pas sans rappeler le flou lié au duo Tobe Hooper / Steven Spielberg sur Poltergeist – n’a jamais été définitivement dissipée. Il est donc généralement admis que La Chose d’un autre monde est le fruit d’une coréalisation, Nyby étant le seul officiellement crédité à ce poste. Le scénario de Charles Lederer (Les Hommes préfèrent les blondes, L’Inconnu de Las Vegas) s’amorce en reprenant assez fidèlement les premières péripéties de la nouvelle. Nous sommes au Pôle Nord, où s’écrase un engin inconnu. Le lendemain du crash, une équipe de savants et de militaires se réunit sur le site et découvre un cercle parfait enfoui sous la glace. S’agit-il d’une soucoupe volante ? « Dans quelques minutes, nous aurons les clés de l’univers », s’emballe aussitôt le docteur Carrington (Robert Cornthwaite), chef de l’expédition scientifique, avant d’affirmer : « Des millions d’années d’histoire nous attendent. »

Mais en faisant sauter la glace, les militaires menés par le capitaine Hendry (Kenneth Tobey) détruisent l’engin. Reste la forme de ce qui ressemble à un homme, coincée dans un bloc ce givre, qu’ils ramènent dans leur station. Faut-il le décongeler ou non ? Sur ce point, les avis de Hendry et Carrington diffèrent. On attend donc patiemment les ordres, tandis que le scénario s’attarde sur la tension qui monte progressivement entre le chef des soldats et le savant exalté. C’est le moment que choisit la créature pour échapper à son bloc de glace et prendre la poudre d’escampette, prélude à un siège qui laissera plusieurs victimes parmi les chiens de traîneaux et les membres de l’expédition.

La carotte venue de l’espace

Pour déterminer la nature de cet extra-terrestre, les théories des scientifiques dépassent l’entendement, puisqu’il s’agirait d’une sorte de plante carnivore intelligente capable de se nourrir de sang, une « super carotte » venue de l’espace. En ce sens, le film reste fidèle au texte. Mais en seconde partie de métrage, le scénario s’éloigne de la nouvelle, en grande partie pour des raisons de moyens techniques. Au lieu de la créature métamorphe capable de changer d’apparence et d’imiter les traits des humains, nous avons droit à une sorte de monstre de Frankenstein incarné par James Arness sous un maquillage de Lee Greenway. De nombreux dessins conceptuels, une vingtaine de sculptures et des mois de recherches auront été nécessaires pour aboutir à un design susceptible de satisfaire Howard Hawks. Très exploité dans le matériel publicitaire de l’époque, ce maquillage demeure peu visible dans le film, Nyby estimant que sa discrétion rend le personnage plus mystérieux. La Chose d’un autre monde occulte de fait la paranoïa inhérente au texte initial, où chacun se demandait si son voisin n’était pas devenu la bête. Autres travers du film : un trop grand nombre de protagonistes auxquels il est difficile de s’attacher (une bonne vingtaine) et une surcharge de dialogues. Certes, la manière dont les échanges de répliques fusent à toute vitesse, s’interrompent, s’enchaînent et rebondissent l’une vers l’autre témoigne d’une méticulosité étonnante. Nous avons presque affaire à une chorégraphie de mots. Mais ce trop-plein de dialogues empêche la tension de s’installer pleinement. Il aurait pourtant été judicieux de laisser l’indicible s’immiscer dans cette base militaire, conformément à l’esprit de la nouvelle qui se laissait elle-même influencer manifestement par H.P. Lovecraft. Porté par une bande originale anxiogène de Dimitri Tiomkin (La Vie est belle, L’Inconnu du Nord Express), La Chose d’un autre monde conserve malgré tout un statut de classique de la SF, peut-être justement parce qu’il tourne le dos aux canons habituels du genre pour aborder l’invasion extra-terrestre sous un angle très pragmatique. Quant à la tirade finale prononcée par le journaliste Ned Scott (Douglas Spencer), elle raisonne aujourd’hui encore comme un avertissement entré à jamais dans la légende : « Watch the skies ! », autrement dit « Surveillez le ciel ! »

 

© Gilles Penso


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