LA VIE EST BELLE (1946)

Au sortir de la guerre, Frank Capra réalise un conte fantastique, philosophique et résolument optimiste

IT’S A WONDERFUL LIFE

 

1946 – USA

 

Réalisé par Frank Capra

 

Avec James Stewart, Henry Travers, Donna Reed, Lionel Barrymore, Thomas Mitchell

 

THEMA DIEU, LA BIBLE, LES ANGES I CONTES

Seconde incursion de Frank Capra dans le genre fantastique après Les Horizons perdus, La Vie est belle s’inspire d’une nouvelle écrite en 1939 par Philip Van Doren Stern, « The Greatest Gift ». Le texte circula à Hollywood au début des années 40 et attira l’attention de David Hempstead, l’un des producteurs du studio RKO qui fut le premier à y entrevoir un potentiel cinématographique. Pressenti pour tenir le premier rôle de ce film hypothétique, Cary Grant préfère finalement jouer dans Honni soit qui mal y pense d’Henry Koster. C’est donc James Stewart qui le remplace, sous la direction de Frank Capra. La transformation de la nouvelle en scénario n’est pas un processus simple, fruit du travail successif d’une demi-douzaine d’auteurs. À partir du 16 avril 1946, le cinéaste s’installe avec son équipe de tournage pendant 90 jours dans les studios californiens de la RKO, où il a fait édifier le gigantesque décor extérieur de la ville imaginaire de Bedford Falls, théâtre des péripéties désormais légendaires de La Vie est belle. Deux ans avant qu’Alfred Hitchcock n’en fasse son héros fétiche pour quatre films mythiques (La Corde, Fenêtre sur cour, L’Homme qui en savait trop et Sueurs froides), James Stewart endosse pour la troisième fois consécutive le costume du personnage « caprien » par excellence (après Vous ne l’emporterez pas avec vous et Mr Smith au Sénat), un protagoniste qui affronte l’adversité pour en ressortir grandi. Cet élan d’optimisme semble plus que jamais vital à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, Capra ayant interrompu toute activité dans le cinéma de fiction entre 1942 et 1945 pour se consacrer pleinement aux documentaires destinés à soutenir le moral des troupes.

1945. Dans la petite ville américaine de Bedford Falls, la veille de Noël, George Bailey veut mettre fin à ses jours. Ayant toujours essayé de faire de son mieux il estime avoir tout raté. Mais ses proches et ses amis pensent à lui avec tant de ferveur que Clarence, un ange en formation, tombe du ciel pour tenter de lui venir en aide. Cette bonne action lui permettrait de gagner ses ailes. Clarence croise donc le chemin de George sur le pont duquel il avait décidé de sauter et tente de le dissuader de passer à l’acte. Le récit se structure dès lors sous forme d’un long flash-back qui commence alors que notre désespéré n’a que douze ans. Nous y découvrons une vie faite de sacrifices et de gestes altruistes, mais aussi une longue descente aux enfers provoquée par une malchance croissante et des malversations qui le plongent dans la ruine, l’alcool et le désespoir. C’est donc dans un état bien piteux que nous retrouvons George, sur ce pont qu’il a choisi comme dernier lieu de résidence terrestre avant le plongeon fatal dans la rivière. Mais Clarence a plus d’un tour dans son sac pour le faire changer d’avis…

Un peu plus près des étoiles

Le paradoxe de l’utilisation de l’argument fantastique dans La Vie est belle est à la fois son omniprésence et sa discrétion. La destinée désespérément humaine de George Bailey nous touche tant qu’on en oublierait presque en cours de route que toute son histoire est narrée sous l’œil attentif de témoins célestes, symbolisés à l’écran par des étoiles sur fond noir qui clignotent en parlant. De fait, l’apprenti-ange Clarence peut influer sur la décision de George mais ne peut choisir à sa place. Son registre d’intervention est assez limité, conformément au célèbre adage « aide-toi et le ciel t’aidera ». L’idée géniale du scénario consiste à montrer à notre héros à quoi aurait ressemblé le monde si lui-même n’avait jamais existé. Nous ne découvrons certes pas un univers parallèle totalement bouleversé. Loin de la théorie du chaos chère à Ian Malcolm et au fameux principe du battement d’ailes du papillon, ce monde sans George Bailey n’est à priori pas très différent de celui qu’il a connu. Mais à y regarder de plus près il est moins riche, plus triste, plus morose, plus désenchanté… Cette joie de vivre qui semble avoir déserté l’esprit assombri de George est justement ce qui manquerait à un monde alternatif privé de sa présence. L’ange – et le Fantastique dans son acceptation plus générale – est donc ici la métaphore de l’optimisme, seul recours lorsque tout semble perdu. Cette perception positive aurait dû logiquement faire mouche auprès d’un grand public s’éveillant tout juste des traumatismes de la guerre. La Vie est belle fut pourtant un échec cuisant au moment de sa sortie et ne se transforma en classique que plus tard. C’est désormais l’un des films favoris des spectateurs américains, rediffusé systématiquement chaque Noël et mué depuis longtemps en élément incontournable de la culture populaire.

 

© Gilles Penso

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