MACBETH (1948)

Orson Welles adapte Shakespeare avec emphase, contournant les faibles moyens à sa disposition pour créer une atmosphère de conte macabre…

MACBETH

 

1948 – USA

 

Réalisé par Orson Welles

 

Avec Orson Welles, Jeanette Nolan, Dan O’Herlihy, Edgar Barrier, Roddy McDowall, Alan Napier, Erskine Sanford, John Dierkes, Keene Curtis, Peggy Webber

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Porter la pièce « Macbeth » à l’écran s’imposait presque comme une évidence pour Orson Welles, qui avait déjà décliné sur les planches le classique de Shakespeare avec sa compagnie du Mercury Theatre. Mais le financement du film, que le réalisateur ambitionne de mettre sur pied après La Dame de Shanghai, n’est pas simple. C’est finalement la société Republic Pictures, jusqu’alors spécialisée dans les serials d’aventure et de science-fiction bon marché, qui accepte de mettre sur pied cette production afin d’ouvrir son champ d’activité et de se payer une image de marque prestigieuse. Mais le budget mis à disposition du cinéaste est extrêmement modeste : 700 000 dollars à peine. Macbeth est donc tourné à l’économie en 23 jours, se rabattant sur des décors bricolés avec les moyens du bord et des costumes empruntés à d’autres productions. Si Welles s’octroie logiquement le rôle principal, il n’est pas simple de trouver celle qui lui donnera la réplique. Après avoir essuyé le refus de nombreuses actrices pour incarner Lady Macbeth, le metteur en scène choisit Jeanette Nolan, avec qui il a travaillé à plusieurs reprises au théâtre et à la radio. Ce sera son premier rôle au cinéma, point de départ d’une carrière foisonnante.

Les fameuses trois sorcières de la pièce, ici juchées sur un piton rocheux embrumé et réunies autour d’une grande marmite, ouvrent logiquement les hostilités en concoctant leur potion visqueuse. Mais Welles opère d’emblée une petite entorse au texte initial dans la mesure où elles créent une figure en glaise à l’effigie de Macbeth. Le vaudou s’invite donc dès l’entame, ce qui ne surprend qu’à moitié quand on sait que le metteur en scène avait monté au théâtre une version caribéenne de la pièce, entièrement jouée par des acteurs noirs. À travers sa vision de Macbeth, il cherche surtout à accentuer le fossé qui se creuse entre les vieilles religions païennes et l’avènement du christianisme. D’où l’invention d’un tout nouveau personnage, le « Père sacré », qu’incarne Alan Napier. C’est ce dernier qui chasse les sorcières en brandissant une croix, ou qui plus tard évoque la perfidie des forces obscures, ce qui pousse Banquo à se signer. Comme pour montrer que ces entités occultes ont élu domicile parmi les humains, Welles fait le choix d’octroyer aux interprètes des sorcières (Peggy Webber, Lurene Tuttle et Brainerd Duffield) d’autres rôles, en l’occurrence Lady Macduff, une dame de la cour et le premier assassin. Le fantastique et la réalité s’entremêlent donc, ce que confirme une mise en forme volontairement déconnectée du monde réel.

La forêt qui marche

Sous l’influence manifeste du cinéma expressionniste allemand et des films gothiques des années 30, Orson Welles inscrit ses séquences dans des décors tordus et contrastés, joue sur la profondeur de champ, les plongées, les contre-plongées, les compositions verticales et les ombres portées démesurées, comme si Les Hauts de Hurlevents et La Fiancée de Frankenstein s’épousaient en un mariage contre-nature. De fait, Macbeth se pare de très belles forêts de studio enfumées, de maquettes, de peintures sur verre, de tous les artifices qui permettent d’obtenir des décors à bas prix tout en ceignant l’œuvre dans un écrin surnaturel à mi-chemin entre le conte de fées et le récit d’épouvante. Le palais des époux Macbeth est ainsi réduit à l’état de caverne, une habitation troglodyte encore coincée dans les âges barbares. Quant aux visions embrumées de la forêt qui marche, elles font littéralement basculer le film dans le surréalisme. Annonçant certains des exercices de style de La Soif du mal, Welles conçoit de très audacieux plans-séquences dans lesquels une chorégraphie minutieuse des comédiens et de la caméra permet de saisir dans la continuité de mémorables morceaux de dramaturgie, comme la nuit du meurtre de Duncan, la révélation du massacre de la famille Macduff ou les crises de somnambulisme de Lady Macbeth. Fascinant à défaut d’être subtil, le film fut éreinté par la critique anglo-saxonne qui lui reprocha notamment des dialogues prononcés dans de faux accents écossais excessifs. Ailleurs, et notamment en France, l’accueil de Macbeth fut bien plus chaleureux. Depuis, le septième long-métrage d’Orson Welles a acquis ses galons de classique.

 

© Gilles Penso


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