LE SYNDROME DE STENDHAL (1996)

Dario Argento dirige pour la seconde fois sa fille Asia dans ce thriller d’horreur psychotique où les œuvres d’art créent un malaise obsessionnel…

LA SINDROME DI STENDHAL

1996 – ITALIE

Réalisé par Dario Argento

 Avec Asia Argento, Thomas Kretschmann, Marco Leonardi, Luigi Diberti, Paolo Bonacelli, Julien Lambroschini, John Quentin, Franco Diogene

THEMA TUEURS I SAGA DARIO ARGENTO

Si la musique joue un rôle prépondérant dans l’œuvre de Dario Argento, l’influence de la peinture classique y est aussi très présente. Tôt ou tard, il était évident que le cinéaste allait lui consacrer un film à part entière. « L’art, l’architecture, la sculpture, la peinture ocupent une place à part dans mes films », confirme-t-il. « Je les ai notamment réunis dans Le Syndrome de Stendhal, dans lequel ma référence picturale principale était l’œuvre de Rembrandt. C’est un film dans lequel l’art tourne à l’obsession. » (1) Tiré du roman homonyme de Graziella Margherini, Le Syndrome de Stendhal offre à Argento la seconde occasion de diriger sa fille Asia, après une première expérience heureuse sur Trauma. Dès l’entame du film, celle-ci se fond dans la foule des touristes venus visiter Florence et entre dans la Galerie des Offices, accompagnée par une musique envoûtante d’Ennio Morricone laissant la part belle aux chœurs féminins. « Ce qui est intéressant est le fait que le morceau qu’il a composé pour cette scène pouvait être joué aussi bien à l’endroit qu’à l’envers », nous explique Dario Argento. « C’était une expérience musicale étonnante, qui procure inconsciemment un effet de trouble obsédant. Lorsque je vois ma fille Asia qui se promène au milieu de tous ces chefs d’œuvres de la peinture, accompagnée par la merveilleuse musique de Morricone, je me dis que cette scène est sans doute l’un des plus beaux moments de ma carrière de metteur en scène. » (2)

D’emblée, on sent un certain trouble chez la jeune femme. Entourée de sculptures monumentales, de bas-reliefs, de fresques magnifiques, elle semble s’imprégner des œuvres, en imagine les sons (cris de batailles, vent qui souffle, sabots de chevaux). Elle finit par perdre pied et s’évanouit dans une sorte de rêve hallucinatoire où elle plonge littéralement dans une peinture, flottant dans un univers aquatique surréaliste où vient l’embrasser un énorme poisson. Exempte de dialogue, cette entrée en matière prodigieuse est un moment de cinéma pur et nous rappelle à quel point Dario Argento est un réalisateur d’exception. Aussi étrange semble-t-elle, cette séquence repose sur des faits bien tangibles qui, par leur nature, ne pouvaient que fasciner le cinéaste. « Le principe scénaristique du Syndrome de Stendhal s’appuie sur une théorie réelle selon laquelle l’art peut être dangereux s’il est exposé à des esprits faibles ou déséquilibrés », dit-il. « Lorsqu’une œuvre approche du sublime, son impact peut être trop fort, et ses conséquences imprévisibles. Freud avait écrit un essai racontant que sa première visite au Parthénon l’avait tellement impressionné qu’il en était tombé malade. Et pourtant, Freud était loin d’être un esprit faible. » (3) Dans le cas présent, le choc est si fort que notre héroïne ne sait plus qui elle est. Il lui faut du temps pour que les souvenirs reviennent, au cours d’une séquence onirique où sa chambre d’hôtel florentine ouvre une porte sur une ruelle de Rome. Elle est Anna Manni, inspectrice de police adjointe menant l’enquête sur un serial killer responsable d’une série de viols et de meurtres. Aussitôt, ce dernier la retrouve et l’agresse…

L’ombre d’Hitchcock

Dario filme Asia tour à tour avec tendresse et brutalité, osant franchir des limites qu’on imagine délicates entre un père et sa fille. Assez curieusement, le syndrome qui donne son titre au film disparaît progressivement pour céder le pas à une autre obsession : celle du tueur pour sa victime… et vice versa. En agressant Anna, l’assassin pénètre de force dans son intimité non seulement physiquement mais aussi mentalement. Déstabilisée, perdant pied, elle ressent le besoin de changer d’apparence. À ce stade, Le Syndrome de Stendhal rejoint Alfred Hitchcock. Lorsque la jeune femme brune devient blonde, l’ombre de Sueurs froides plane sur le film, une référence déjà assumée lors du fameux prologue dans le musée (avec cette bande originale cultivant justement le sens du vertige). Plus tard, c’est l’influence de Psychose qui s’immiscera progressivement, preuve qu’Hitchcock reste une source d’inspiration récurrente pour Argento. Après tout, le tueur ne s’appelle-t-il pas Alfredo ? En s’appuyant sur l’inventivité (toujours poétique à défaut d’être subtile) du créateur d’effets spéciaux Sergio Stivaletti, le cinéaste offre aux spectateurs une collection de visions insolites dont il a le secret : les gros plans de cachets qui entrent dans une gorge, un tableau qui se liquéfie pour se transformer en porte, une balle de pistolet qui pénètre à l’intérieur d’un visage, des graphs urbains qui prennent vie… Le Syndrome de Stendhal est sans doute l’une des dernières œuvres maîtresses du grand Dario, avant ce qu’il est difficile d’appréhender autrement que comme une dégringolade artistique.

 

(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016

 

© Gilles Penso


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