MISTER FROST (1990)

Entre La Mouche et Jurassic Park, Jeff Goldblum entrait dans la peau d’un être énigmatique et démoniaque…

MISTER FROST

 

1990 – FRANCE / GB

 

Réalisé par Philippe Setbon

 

Avec Jeff Goldblum, Alan Bates, Kathy Baker, Jean-Pierre Cassel, Daniel Gélin, François Négret, Maxime Leroux, Vincent Schiavelli, Roland Giraud

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

C’est dans la bande-dessinée que Philippe Setbon fait ses débuts, notamment pour les mythiques revues « Pilote » et « Métal Hurlant ». Le début des années 80 marque son entrée dans le cinéma, d’abord en tant que scénariste. Il écrit entre autres Détective de Jean-Luc Godard, Parole de flic de José Pinheiro, Lune de miel de Patrick Jamain ou encore Mort un dimanche de pluie de Joël Santoni. En 1987, il passe lui-même derrière la caméra pour Cross, un buddy movie policier qu’il écrit et réalise avec en tête d’affiche Michel Sardou et Roland Giraud. Son second long-métrage est Mister Frost, une ambitieuse co-production franco-britannique mêlant des vétérans anglo-saxons (Jeff Goldblum, Alan Bates, Kathy Baker) et quelques seconds couteaux français que Setbon laisse surjouer à la lisière de la caricature : Roland Giraud (échappé de Cross) en directeur d’institut psychiatrique pédant, Jean-Pierre Cassel en chef de la police blasé et Daniel Gélin en villageois exagérément acariâtre. L’intrigue commence en Angleterre et nous familiarise avec Felix Detweiler (Alan Bates), un inspecteur de police dont Philippe Setbon accentue certaines manies, notamment sa propension à essayer de rouler ses cigarettes lui-même pour finalement abandonner avec lassitude. Ce genre de petit geste banal en dit souvent plus long que les mots. L’homme est indécis, nerveux et impatient.

Detweiler est envoyé enquêter dans la résidence luxueuse du mystérieux Mister Frost (Jeff Goldblum) chez qui deux jeunes gens qui projetaient de voler une voiture ont affirmé avoir vu un cadavre. Frost ne nie pas et admet même que plusieurs corps sont enterrés dans son jardin. Lorsque les autorités débarquent, pas moins de 24 cadavres mutilés sont exhumés chez Frost, dont plusieurs enfants. L’assassin est arrêté mais personne ne parvient à établir son identité. Officiellement, ce Frost n’existe pas. Après avoir gardé le silence pendant deux ans, il est finalement placé dans un institut psychiatrique en France, après avoir transité par l’Allemagne et la Suisse en désarçonnant tous les psychiatres. Seule le médecin Sarah Day (Kathy Baker) est capable de briser son silence. Frost ne veut parler qu’à elle. Mais pourquoi ? Et qui est-il vraiment ? Detweiller, qui a quitté la police, est persuadé qu’il s’agit du diable en personne. « Frost n’est pas dérangé » dit-il le regard exalté en s’entretenant avec le docteur Day. « Il n’a pas sa place dans votre hôpital. C’est le Mal que vous avez introduit chez vous. » Et s’il avait raison ?

Les voies du démon sont impénétrables

Jamais ostentatoire, la mise en scène de Philippe Setbon sait malgré tout se montrer inventive pour déstabiliser les spectateurs. L’usage de la demi-bonnette permet d’obtenir la mise au point à la fois sur un très gros plan de Goldblum et un plan large d’Alan Bates dans le même cadre, les contre-plongées extrêmes et les cadres serrés sur les regards suscitent le malaise, le jeu des reflets en forme de croix sur les pupilles évoque une idée de la propagation du mal… Mais le film repose surtout sur ses acteurs principaux. Si le casting français fait couleur locale sans beaucoup de subtilité et si Kathy Baker ne déborde pas foncièrement de charisme, Alan Bates et Jeff Goldblum crèvent l’écran. Le premier prête son regard de chien battu à un homme brisé au mysticisme amer, affirmant à qui veut l’entendre que « si les voies du Seigneur sont impénétrables, les voies du démon le sont tout autant. » Le second promène sa silhouette de dandy désinvolte avec la grâce d’un danseur, chemise ouverte, cheveux mi-longs, esquissant pas à pas la gestuelle du fameux Ian Malcolm auquel il donnera corps trois ans plus tard dans Jurassic Park. Le spectateur, lui, hésite entre le cartésianisme serein du docteur Day et la théorie satanique de Detweiler. Frost n’est-il qu’un manipulateur habile et sociopathe ou s’agit-il vraiment du diable ? Fascinant malgré ses maladresses, Mister Frost n’aura pourtant pas permis à Setbon de poursuivre sa carrière prometteuse sur grand écran, puisqu’il se tournera dès lors vers la télévision pour écrire plusieurs séries et téléfilms, notamment Fabio Montale, Le Lion et Frank Riva avec Alain Delon.

 

© Gilles Penso


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