L’ÉTUDIANT DE PRAGUE (1926)

Un étudiant sans le sou accepte la proposition alléchante d’un homme louche qui n’est autre que le diable…

DER STUDENT VON PRAGUE

 

1926 – ALLEMAGNE

 

Réalisé par Henrik Galeen

 

Avec Conrad Veidt, Elizza La Porta, Fritz Alberti, Agnes Esterhazy, Ferdinand von Alten, Werner Krauss, Erich Kober

 

THEMA DOUBLES I DIABLE ET DÉMONS

En 1913, Hanns Heinz Ewers réalisait L’Étudiant de Prague, un conte moral inspiré à la fois de la légende de Faust, de la nouvelle « William Wilson » d’Edgar Allan Poe, de « L’homme qui a perdu son ombre » d’Adelbert von Chamisso et d’un des récits fantastiques d’E.T.A. Hoffmann, « L’Histoire du reflet perdu. » Malgré ces influences multiples, ce sujet original est entré dans l’inconscient collectif comme s’il s’agissait d’un conte folklorique ancré dans les traditions séculaires germaniques, alors que c’est pourtant une invention de pur cinéma. En 1926, Henrik Galeen en réalise un remake dans lequel Conrad Veidt, l’inoubliable somnambule du Cabinet du docteur Caligari, reprend le rôle tenu avant lui par Paul Wegener (Le Golem). Ces deux longs-métrages qui se répondent l’un l’autre présentent la particularité d’inaugurer et de clore la période dite du film expressionniste allemand, puisque L’Étudiant de Prague d’Ewers est l’une des œuvres qui ouvrit les hostilités de ce courant artistique singulier, alors que la version de Galeen marque d’une certaine manière son chant du cygne. Il est par ailleurs étonnant que le récit se soit ainsi dédoublé sur une période de 13 ans, le double étant justement le thème principal de cette histoire tourmentée.

Nous sommes dans le Prague de 1820. L’étudiant Balduin (Conrad Veidt) est un excellent escrimeur, sans doute le meilleur de toute la ville, mais c’est un jeune homme ténébreux et taciturne, dont le comportement tranche d’emblée avec celui de ses camarades, prompts à festoyer, chanter, boire de la bière et trousser quelques jupons. Si Balduin est si morose, c’est parce qu’il est sans le sou, et cette misère commence sérieusement à le peser, au point qu’il ne se rend même pas compte que la jolie fleuriste Liduschka (Elizza la Porta) lui fait les yeux doux. « Votre escarcelle est vide ? Laissez Satan la remplir ! » chante à son attention l’un de ses camarades en grattant sa guitare, nous annonçant déjà le drame qui couve. Car aussitôt, le mystérieux Scapinelli (Werner Krauss), un vieil homme affublé d’un grand chapeau et d’un parapluie, fait son apparition et propose son aide. Balduin le repousse, croyant avoir affaire à un vieil usurier. Mais Scapinelli lui fait une offre alléchante : contre 600 000 florins d’or, il achète son reflet dans le miroir. L’étudiant signe le contrat en éclatant de rire, bientôt pris de vertige par la pluie de pièces d’or qui se déverse sur sa table. Désormais, rien ne l’empêche de faire la cour à la comtesse Margit (Agnes Esterhazy) et de faire partie de la belle aristocratie tchèque. Mais ce pacte diabolique a bien sûr un revers très déplaisant…

Hanté par son propre reflet

C’est d’abord sous des atours très mélodramatiques que se construit l’intrigue de L’Étudiant de Prague, une de ces nombreuses histoires d’amours impossibles où chacun convoite celui qui lui est inaccessible (la fleuriste couve du regard l’étudiant qui n’a d’yeux que pour la comtesse, laquelle est déjà fiancée). Lorsque le diable entre en scène sous les traits du facétieux Scapinelli, la mise en scène d’Henrik Galeen se fait lyrique, à l’image de ce tableau très iconique dans lequel le tentateur observe le monde du haut d’un promontoire où se dresse un arbre tordu secoué par le vent. Sa gestuelle laisse imaginer qu’il manipule les humains comme des marionnettes. C’est sans doute lui qui provoque la rencontre fortuite de l’étudiant et de la jeune comtesse, au cours d’un accident de cheval qui nous surprend par son montage nerveux très moderne. Plus tard, c’est l’ombre gigantesque de Scapinelli qui se dressera sous le balcon où Balduin et celle qu’il aime se content fleurette. Très inspiré, Galeen joue aussi avec les miroirs (via des effets optiques très habiles) et avec le motif visuel du double. Car le reflet de Balduin ne tarde pas à venir le hanter, surgissant derrière les pierres tombales ou dans la forêt blême comme un fantôme sinistre et culpabilisateur. Au moment de sa sortie, L’Étudiant de Prague reçoit un accueil plutôt glacial de la part du public et de la critique, et il faut attendre quelques années avant qu’il ne soit enfin estimé à sa juste valeur, celle d’une des pièces maîtresses d’un courant cinématographique unique en son genre, alors sur le déclin.

 

© Gilles Penso


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