SWISS ARMY MAN (2016)

Naufragé sur une île déserte, un homme découvre un cadavre et décide d’en faire son meilleur ami !

SWISS ARMY MAN

 

2016 – USA

 

Réalisé par Daniel Scheinert et Daniel Kwan

 

Avec Paul Dano, Daniel Radcliffe, Mary Elizabeth Winstead, Timothy Eulich, Marika Casteel, Richard Gross, Antonia Ribero, Aaron Marshall, Andy Hull, Shane Carruth

 

THEMA MORT

Après des années de réalisation de courts-métrages et de clips musicaux, les « Daniels », autrement dit Daniel Scheinert et Daniel Kwan, cherchent un sujet pour leur passage au format long. C’est d’abord sous forme de boutade qu’ils évoquent le projet d’un film résolument anti-hollywoodien dont le héros serait un naufragé transportant partout un cadavre devenant progressivement son meilleur ami. Mais les réactions face à cet improbable pitch sont tellement enthousiastes qu’ils se prennent au jeu et présentent un scénario complet autour de cette idée farfelue au festival du cinéma indépendant de Sundance en 2013. Le titre du film, Swiss Army Man, pourrait se traduire par « l’homme couteau suisse ». Féru de nouveaux défis (« J’aimerais bien faire un jour une comédie complètement stupide ! » déclarait-il en 2012 lors du festival du film américain de Deauville), Paul Dano s’embarque immédiatement dans l’aventure. Ce qui le convainc définitivement est l’un des arguments des réalisateurs : « Le premier pet du film fera rire le public, le dernier le fera pleurer. » Pour incarner ce cadavre pétomane, Scheinert et Kwan sollicitent un autre Daniel, en l’occurrence Daniel Radcliffe, toujours prompt à poursuivre sa vaste entreprise de cassage d’une image trop longtemps associée à Harry Potter.

Dano incarne Hank Thompson, un naufragé qui, n’en pouvant plus d’être isolé sur une île déserte, est sur le point de se pendre. Rien à voir, donc, avec la détermination de Tom Hanks dans Seul au monde. Soudain, quelque chose l’arrête dans son geste : la découverte d’un corps qui s’échoue sur la plage. Hank tente de le ranimer, mais l’homme est bel et bien mort. Alors que la marée commence à emporter le cadavre, celui-ci émet une série de flatulences qui le propulsent à la surface de l’eau. Incrédule, Hank monte sur le corps et le chevauche à travers l’océan comme s’il était sur un jet ski ! Après cette séquence invraisemblable qui permet assez tôt de mesurer le degré de folie du film, Hank se retrouve sur un rivage continental éloigné de la civilisation. Cette nuit-là, il se réfugie dans une caverne pour échapper à une tempête et emporte avec lui le cadavre qui finit par révéler une infinité d’autres capacités fort précieuses…

Le jeune homme et la mort

L’intrigue de Swiss Army Man prend bientôt la tournure d’un récit initiatique au cours duquel la lisière entre le réel et l’irréel devient floue. La mise en scène des Daniels se montre très intuitive, regorgeant d’idées surprenantes. Les déchets échoués sur le rivage se transforment ainsi en œuvres d’art ou en éléments de décor qui permettent des flash-backs réinventant le passé des personnages. Certaines de ces facéties évoquent parfois le cinéma de Michel Gondry, mais l’univers de Swiss Army Man reste très singulier, à la fois charnel et enfantin. Le lien improbable qui se noue entre Hank et son ami trépassé ne cesse d’évoluer en même temps que le film. Le grotesque, l’absurde et l’extravagance cèdent ainsi la place à la sensibilité et l’intimité. De fait, même si l’humour en dessous de la ceinture perdure (il est sans cesse question de pets, d’érections incontrôlables, de déjections), la vulgarité est bientôt balayée au profit d’une poésie étrange et facétieuse. C’est tout le miracle de The Swiss Army Man, en perpétuel équilibre instable. La performance des acteurs y est hallucinante. Paul Dano soliloque comme un dément sans jamais perdre le fil de son personnage, tandis que Daniel Radcliffe pousse très loin le contre-emploi dans le rôle de ce cadavre pétomane doté de capacités surhumaines et d’une étincelle de vie inattendue. Le film bénéficie aussi d’une approche musicale atypique, faite de chants a capella (avec un hilarant clin d’œil à Jurassic Park) et de mélodies synthétiques à la Philip Glass. On ne cesse de s’étonner à l’idée qu’il existe encore aujourd’hui, à l’époque des blockbusters Disney phagocytant peu à peu les écrans du monde entier, la possibilité de produire de tels films.

 

© Gilles Penso


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