Que se serait-il passé si les Allemands avaient gagné la seconde guerre mondiale et si Adolf Hitler en était toujours le führer dans les années 60 ?
FATHERLAND
1994 – USA
Réalisé par Christopher Menaul
Avec Rutger Hauer, Miranda Richardson, Peter Vaughan, Michael Kitchen, Jean Marsh, John Woodvine, John Shrapnel, Clive Russell, Clare Higgins
THEMA POLITIQUE FICTION
En 1992, le romancier Robert Harris écrit « Fatherland », une uchronie située dans un monde alternatif où les forces de l’axe ont gagné la seconde guerre mondiale et où le parti nazi toujours dirigé par Hitler règne sur l’Europe. Ce récit, qui n’est pas sans évoquer « Le Maître du haut château » de Philip K. Dick, publié en 1962, intéresse tout particulièrement le réalisateur Mike Nichols (Qui a peur de Virginia Woolf ?, Le Lauréat, Working Girl). Persuadé qu’il peut en tirer un long-métrage palpitant, le cinéaste achète les droits d’adaptation pour un million de dollars, avant même la parution du livre aux États-Unis, mais se heurte au refus de tous les grands studios hollywoodiens, sans doute effrayés par un sujet qu’ils jugent rebutant pour le grand public. Le projet change donc d’envergure pour se muer en téléfilm pour HBO, budgété à 7 millions de dollars. La mise en scène est finalement confiée à Christopher Menaul, sur un scénario de Stanley Weiser et Ron Hutchinson. Entièrement tourné à Prague (à la fois pour des raisons budgétaires et pour profiter de décors naturels évoquant la période de la guerre froide), Le Crépuscule des aigles se situe donc dans des années 1960 fictives où le Débarquement en Normandie a échoué, où l’Allemagne nazie est parvenue à envahir le Royaume-Uni puis le reste de l’Europe et où le Grand Reich se nomme désormais « Germania ».
En 1964, l’Allemagne nazie s’apprête à fêter les 75 ans de son führer. A cette occasion, pour la première fois depuis la guerre, des journalistes américains sont invités à Berlin pour suivre la rencontre historique entre le président américain Joseph Kennedy et Adolf Hitler. Parmi eux se trouve la reporter Charlotte (« Charlie ») Maguire (Miranda Richardson). A peine arrivée à son hôtel, un homme lui remet une enveloppe contenant une photo et une adresse. En se rendant à l’endroit indiqué, elle tombe sur le cadavre d’un ancien haut responsable du troisième Reich. Or le policier SS Xavier March (Rutger Hauer) mène déjà une enquête sur le meurtre d’un autre dignitaire du parti. Ce second macchabée se révèle être Josef Bühler, un responsable du parti nazi à la retraite qui a géré la réinstallation des Juifs dans les territoires allemands d’Europe de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale. March fait alors le rapprochement entre les deux affaires…
Géopolitique-fiction
Traité sur un ton hyperréaliste, cet insolite essai de politique-fiction imagine donc ce qui se serait passé si l’histoire aurait bifurqué à partir de 1945. Particulièrement troublant, Le Crépuscule des aigles souffre cependant d’une réalisation souvent trop distante, la longue expérience télévisée de Christopher Menaul ne l’ayant guère laissé marquer son travail d’une empreinte personnelle ou d’une vraie vision de metteur en scène. Le souci du détail semble ici plus porté sur la cohérence historique que sur la densité psychologique des personnages du film. Appréhendé sur une échelle géopolitique, l’intrigue se tient. Mais à hauteur d’homme, c’est une autre histoire. Au moment de la révélation de l’existence des camps de la mort par exemple, l’une des séquences censément les plus marquantes d’un point de vue émotionnel, la journaliste interprétée par Miranda Richardson ne réagit pas avec l’ébahissement escompté. Il en est de même pour l’interprétation de Rutger Hauer, bien plus « tiède » que ce à quoi son talent nous a habitué. Pour autant, il faut bien avouer que son rôle de gentil officier SS, bon père de famille et mari aimant, se révèle pour le moins déstabilisant, questionnant habilement les notions du bien et du mal. « Mon roman “Fatherland“ a été transformé en un très mauvais film » affirmera plus tard Robert Harris, manifestement déçu par cette adaptation. « Au moment du tournage, il y avait eu tellement de compromis artistiques – en particulier deux changements fondamentaux dans l’histoire – que le film n’avait plus rien à voir avec le roman. Certains l’apprécient, mais je dois dire que ce n’est pas mon cas » (1). Sans être aussi sévères qu’Harris, reconnaissons que le potentiel d’une telle histoire aurait pu donner lieu à un film plus abouti.
(1) Extrait d’une interview parue dans « The Independent » en novembre 2017.
© Gilles Penso
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